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il n’y eut qu’une voix pour louer l’insigne habileté avec laquelle l’architecte avait su créer une œuvre uniforme sans monotonie, simple sans pauvreté, et surtout si bien conçue au point de vue pratique qu’elle est devenue le modèle d’après lequel les reconstructions des anciens marchés ont été ou sont encore entreprises dans toutes les grandes villes de l’Europe.

Les Halles de Paris, telles qu’elles existent aujourd’hui, abritent une superficie de 40,390 mètres, superficie qui se trouve doublée par les caves pratiquées partout sous le sol. Si, en examinant les dispositions extérieures et intérieures de cet immense entrepôt, on s’attache à la signification qu’elles tirent des besoins auxquels il fallait pourvoir, des exigences imposées par la nature des objets à préserver et par l’affluence des gens que ces objets attirent, il est impossible de ne pas reconnaître combien, à tous égards, le contenant est ici en juste rapport avec le contenu. Précautions pour maintenir au degré qui convient la température de ces rues couvertes où s’entasse, sous le zinc des toitures, tout ce qui végétait hier en plein air, tout ce qui vivait dans les champs, dans les bois ou au fond des eaux, — mesures propres à assurer la ventilation sans introduire la tempête, à faire pénétrer un jour suffisant sans donner accès aux rayons desséchans du soleil, à faciliter enfin la circulation de la foule au milieu de cette ville de boutiques sans sacrifier l’espace nécessaire aux marchandises et aux vendeurs, — rien n’a été négligé par l’architecte, rien n’a échappé à son ingénieuse sollicitude. Et cependant la vigilance et la sagesse dont il a fait preuve dans les aménagemens nous semblent, si remarquables qu’elles soient, moins dignes d’attention encore que les qualités déployées par lui dans toutes les parties du travail qui en intéressent directement l’élégance ou la solidité[1]. Ce n’est pas seulement un ingénieur, c’est un artiste, et un artiste assurément bien inspiré, qui a déterminé les proportions de ces sveltes colonnes de fonte, la forme à la fois souple et ferme de ces arcades, les profils de ces trois étages de toitures s’élevant au-dessus des douze pavillons qu’encadrent, sans les isoler les uns des autres, des voies intérieures coupées à angle droit et aboutissant chacune à une vaste baie, dont l’ampleur même fait ressortir par le contraste l’ossature fine et les lignes serrées des constructions environnantes.

  1. Une épreuve aussi concluante qu’imprévue fut faite en 1870 de l’énorme poids que pouvaient supporter ces constructions si frêles en apparence. Pour l’approvisionnement de Paris, un peu avant le commencement du siège, on entassa sur le sol des Halles, c’est-à-dire au-dessus des voûtes en briques et des points d’appui en fonte établis dans les caves, autant de sacs de blé que le monument tout entier en pouvait contenir. Non-seulement aucun accident grave ne survint, mais on n’eut à constater nulle part la moindre déviation, le moindre fléchissement dans ces points d’appui et dans ces voûtes.