Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/795

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à chacun des artistes qui les ont signées, de mesurer aussi celle qui lui revient dans l’inspiration de l’ensemble. Hâtons-nous d’ajouter que, quelque jugement que l’on porte sur les travaux qui ont rempli sa vie, cette vie même si constamment studieuse, si obstinément réglée et dominée par la mâle passion du devoir, ne saurait éveiller chez personne d’autre sentiment que le respect. Ceux qui en ont été les témoins les plus rapprochés n’ont pas besoin, pour en garder pieusement la mémoire, qu’on leur rappelle ce qu’elle a été; mais ceux qui ne connaissent de M. Baltard que ses ouvrages, ceux qui l’auront vu vivre de loin pour ainsi dire, ignorent peut-être avec quelle inflexible droiture, avec quelle dignité dans le caractère, il a parcouru depuis les premiers pas jusqu’aux derniers la carrière que son talent lui avait ouverte. Il ne sera donc pas superflu de montrer, en citant quelques faits, comment, au lieu de dépendre simplement d’une chance heureuse à un moment donné, les succès de M. Baltard et sa fortune d’artiste ont été préparés par l’énergie des efforts de sa jeunesse, de plus en plus justifiés par les généreux labeurs de son âge mûr, et combien l’habile architecte, dont la place est marquée parmi les plus considérables de notre temps, mérite aussi le renom d’honnête homme, dans la plus haute, dans la plus sérieuse acception du mot.


I.

Par la date de sa naissance comme par le tempérament de son esprit, Victor Baltard appartenait à cette génération d’artistes qui, sans prendre bruyamment parti dans les querelles entre les disciples et les adversaires de la doctrine dite classique, sans se dérober ni s’asservir aux traditions de la vieille école ou aux exigences de la nouvelle, ne devait accepter les unes et les autres que sous bénéfice d’inventaire, et, dans la pratique, travailler avec la même impartialité à réformer ce qu’elles pouvaient avoir de téméraire ou d’immobile, d’indéterminé ou d’absolu. Né à Paris le 19 juin 1805, par conséquent un peu avant Hippolyte Flandrin, avant Simart et d’autres peintres ou sculpteurs destinés à constituer un jour avec lui, au milieu des luttes engagées, une sorte de phalange intermédiaire ou, si l’on veut, de tiers-parti, il arrivait à l’âge d’homme au moment où Delacroix dans la peinture, David d’Angers dans la statuaire, Duban et ses amis dans l’architecture, avaient déjà tenté le combat et remporté leurs premières victoires. Enhardis par le succès, les chefs du mouvement ne songeaient guère qu’à marcher en avant, au risque de laisser le pays affranchi à peu près livré à lui-même. Restait pour les survenans à organiser le présent conformément aux besoins de l’esprit nouveau aussi bien qu’aux souvenirs