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pâles, » Makhpiatluta s’était toujours montré réservé et pensif. On eût dit qu’il avait conscience d’être le dernier des grands sachems venus pour traiter avec leurs pères blancs. Debout sur l’estrade, il avait serré sa couverture autour de sa taille comme un jupon, ce qui faisait encore ressortir son imposante stature. MM. Beauvais et Richard, à tour de rôle, traduisirent à haute voix, phrase par phrase, le discours de l’orateur, pendant que celui-ci regardait l’assemblée avec assurance, et ne perdait aucunement le fil de ses idées. « Vous êtes mes frères et mes amis, venus pour m’entendre, dit en substance la Nuée-Rouge; le Grand-Esprit nous a faits tous. Vous ne m’avez pas payé les terres que vous m’avez prises. Le Grand-Esprit vous a faits blancs et riches, et nous rouges et pauvres. Quand vous vîntes la première fois dans ce pays, vous étiez peu et nous étions en nombre ; aujourd’hui c’est nous qui sommes peu. Je représente la race indigène, la première qui parut sur ce continent. Nous sommes bons et non mauvais : nous vous avons donné nos terres. Connaissez-vous quelqu’un qui soit venu chez nous et que nous n’ayons pas bien traité ?.. » Puis, comme dans tous les discours des sachems, des demandes de secours pour son peuple, pour leurs enfans, des plaintes sur les traités violés par les blancs, sur les incursions des soldats qui sortent des forts de l’ouest pour ravager les prairies, sur la disparition des marchandises et des cadeaux envoyés par le gouvernement aux Peaux-Rouges, sur les mauvais traitemens infligés par les colons aux Indiens qui ont voulu, comme on le leur conseillait, cultiver la terre, enfin des récriminations contre le « grand-père » qui est à Washington, qui promet toujours de faire rendre justice à ses frères rouges et ne le fait jamais, et, en passant, un coup de bec à l’adresse de son rival, la Queue-Bariolée, « qui dit aujourd’hui une chose, demain une autre. » Dans sa péroraison, Makhpiatluta rappelle qu’il veut rester en paix avec les blancs, qu’il ne leur demande aucune richesse, rien que paix et amitié, — les richesses ne s’emportent pas dans l’autre monde. Il dit encore que les derniers traitans et agens des Indiens les ont toujours trompés, et qu’il est temps que cela finisse. Il remercie les auditeurs qui sont venus le voir et l’entendre ; enfin, à la façon des héros d’Homère et de Virgile, et de tous les sachems à la peau cuivrée, il clôt son discours par la phrase sacramentelle : « j’ai dit. »

Les Indiens avaient écouté d’une oreille attentive la harangue de leur grand-chef. A la façon dont ils en avaient applaudi les principaux passages, en laissant tous ensemble échapper avec une unanimité plaisante le son guttural h’aou, on aurait pu deviner, si on ne l’avait su déjà, que c’était le plus illustre et le plus brave parmi tous les guerriers sioux qui venait de prendre la parole. La Nuée--