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soulève le problème le plus délicat et le plus périlleux des temps modernes; nous voulons parler des limites où le pouvoir civil doit se renfermer dans sa résistance à l’ultramontanisme. Il est certain que le catholicisme qui obéit aux injonctions du pape infaillible est constitué à l’état d’opposition permanente et souvent de guerre contre la société moderne. Partout où il n’est pas le maître il entrera tôt ou tard en conflit avec elle. Il serait absurde de soutenir qu’il n’est pas permis aujourd’hui de lui faire opposition comme sous l’ancien régime, qui avait poussé bien loin ses précautions, et avait su résister sans ménagemens aux prétentions romaines. Si nous nous placions au point de vue des principes, qui est aussi le point de vue de l’avenir, il suffirait de réclamer la pleine séparation de l’église et de l’état sous la condition d’une application juste et sévère au besoin du droit commun. Ce serait saisir l’épée d’Alexandre pour trancher les inextricables nœuds qui résultent de l’union des deux pouvoirs. Il n’y a pas d’autre moyen d’obtenir la paix religieuse, pourvu qu’on y arrive par des transitions équitables qui ménagent tous les droits acquis, et qu’en élargissant le droit de la propriété ecclésiastique on évite la mainmorte. Rien ne serait plus facile à la Suisse que de réaliser cette grande réforme que tout appelle; ceux-là même qui n’en veulent pas aujourd’hui l’acclament en principe. Déjà le canton d’Argovie l’a décidée, et il s’en est fallu de peu de voix dans le canton de Neuchatel pour qu’elle y triomphât. On y viendra certainement quand on sera las des luttes religieuses et des haines qu’elles allument. En attendant ce remède héroïque, l’état peut beaucoup faire pour apaiser et terminer les conflits, sans manquer à sa haute mission, qui est d’être le protecteur du droit. S’il ne veut pas imiter la république américaine, qu’il imite au moins la sage et prudente politique de l’Italie, qui a su ménager la conscience catholique, sauf sur le point où elle ne pouvait capituler, rendre à l’église en liberté ce qu’elle lui a pris en privilèges, abroger le placet, et se désintéresser de la nomination des évêques. Il faut choisir aujourd’hui entre le système de Cavour et celui de M. de Bismarck.

Si nous cherchons à déterminer d’une manière précise jusqu’où doit aller le droit de l’état dans la résistance à l’ultramontanisme, nous dirons d’abord que, tant que le régime du placet n’est pas aboli, il est fondé à refuser la reconnaissance officielle aux brefs et aux bulles qui contiennent des principes attentatoires à sa constitution. C’est ce qu’a fait l’ancienne France pour les décrets du concile de Trente. Ceux du concile du Vatican sont infiniment plus graves. Nous savons bien que, par ce temps de publicité universelle, ces restrictions ressemblent à des treillages mis au travers d’un fleuve;