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habitans sur la concurrence que leur fait dans le nord l’heureux Roubaix. Enfin il n’est pas jusqu’à la petite Feurs, où les lanternes n’ont pas encore pénétré, qui ne présente plus d’importance politique dans le passé et plus d’intérêt dans le présent que Roanne la cossue, toute brillante du moderne éclairage à gaz, tant il est vrai qu’il faut se garder de juger sur la mine les villes aussi bien que les gens.

Une gentille église, dédiée à saint Etienne, et dont le fronton est orné d’une statue moderne du martyr, d’une agréable exécution et d’un bon sentiment, un collège bâti par le célèbre père Cotton, édifice quelque peu lourd, mais bien distribué autour d’une spacieuse cour intérieure, voilà tous les monumens de Roanne. Quelques-uns des livres par moi consultés m’avaient promis des débris de thermes romains; j’ai le regret de les avoir cherchés en vain, et cependant ce n’est pas faute de les avoir réclamés auprès des habitans de la localité. Un hôtel de ville, aujourd’hui condamné et qui attend son successeur, contient un musée composé d’objets de provenance diverse, parmi lesquels sont trois portraits de Forésiens célèbres ; ces trois portraits sont les seules choses qui m’aient réellement intéressé à Roanne. Le premier est celui du jésuite Cotton, le confesseur d’Henri IV et de Louis XIII, figure qui arrête et fait réfléchir. Oh ! que voilà un visage qui est peu d’un rat d’église et qui est bien fait pour démentir ce type traditionnel du jésuite confit en mièvrerie dévotieuse et en doucereuse humilité que s’est forgé une certaine superstition philosophico-populaire. Une beauté réelle, qui est d’un dandy et d’un cavalier expert à toutes les adresses de l’équitation bien plutôt que d’un religieux, des traits noblement réguliers, arrêtés avec une précision toute classique, un port de tête plein de hauteur, une physionomie marquée d’une fermeté froide et souriante, où se révèle une volonté d’acier à la fois souple et pénétrante, voilà le père Cotton. En regardant ce visage, qui est celui d’un homme du monde accompli, je n’ai plus aucune peine à m’expliquer la séduction profonde et par suite l’influence considérable que Cotton exerça sur Henri IV, à qui l’imagination aurait peine à prêter un confesseur renfrogné et morose, de mine basse, de maintien humble et d’esprit strictement dévotieux. Tout ce qu’il fallait à un roi pareil, entente du monde, connaissance du jeu des passions, liberté de jugement dans l’appréciation des actes, le père Cotton le possédait, ou les traits de ce visage seraient fort menteurs. Il est évident qu’un tel homme épargnait au roi un des ennuis les plus mortels qu’il y ait, celui de changer de monde, ne fût-ce qu’un instant, de se dépayser, et que, lorsqu’il approchait son confesseur pour débattre les affaires de son âme, il devait se sentir aussi à l’aise que lorsqu’il