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côté les exagérations de circonstance. Cependant l’histoire ne nous dit pas un mot des toilettes de cette impératrice ni de ses bijoux, tandis que tous s’accordent à célébrer la façon dont elle usait d’une fortune colossale : main ouverte aux petits comme aux grands et ne comptant avec personne, grande dame ayant partout ses pauvres, à la cour comme ailleurs, et du cercle de son affection n’excluant pas les plus infimes. Son affranchie Andromède, une naine, l’adorait; pour ses bontés, ses esclaves la portaient aux nues, et de récens témoignages nous prouvent qu’ils n’avaient pas tort. Il y a quelques années, dans un immense columbarium, on découvrit les cendres d’innombrables serviteurs ayant appartenu à sa maison ; esclaves des deux sexes, affranchis, employés de toute espèce et de tout rang, ils avaient par millions apporté là leur brin de poussière dûment classée, étiquetée, grâce aux bons soins de l’auguste maîtresse. En considérant la sépulture, on songe à ce que devait être le palais quand cet essaim, enfoui depuis des siècles dans la ruche morte, vivait, bruissait, foisonnait autour du diadème. Tout cela sans doute ne fait pas que Livie fût une sainte, et ces vertus privées, dûment et commodément pratiquées au rang suprême, ne sauraient cependant racheter les crimes par lesquels le rang suprême fut conquis. Il est vrai qu’on peut dire à l’excuse de cette âme, à la fois bonne au pauvre monde et passablement scélérate, que ni l’époque où elle vécut ni la place où le choix d’Auguste l’avait mise ne se prêtaient à la culture du sens moral. Environnée de haines et d’intrigues, elle usa des armes dont ses ennemis se servaient contre elle. Oui, mais ces ennemis acharnés, implacables, qui les alla chercher, les défia? Pour cette fille d’un simple chevalier, pour cette compagne errante d’un soldat d’aventure, ce n’était point assez de partager l’empire du monde avec Auguste; il fallait encore que son fils, à elle, héritât du trône des césars. Esprit dominateur et capable de tout, même de céder quand il s’agissait de préparer la victoire, soixante-sept ans elle soutint la lutte. Sa personnalité occupe deux règnes, toujours et partout la bien accueillie sous Auguste, importune, encombrante sous Tibère. Après avoir depuis son mariage, c’est-à-dire pendant une période de cinquante-deux ans, travaillé à fonder le règne de son fils, elle eut ensuite pendant les quinze années qui lui restaient à vivre, à lutter, à déblatérer contre ce règne, « écroulement de ses espérances. » Tacite, si dur pour Tibère, lui fait pourtant la part très belle quant aux deux premiers tiers de sa carrière. Les cruautés, les débauches, ne seraient, à l’en croire, venues que sur le tard, d’où il suit que l’homme mûr, le politique ayant bien mérité, Némésis n’aurait à demander des comptes qu’au seul vieillard. Livie alors nous offrirait