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de toutes les misères de notre pauvre espèce. « Il était inflexible dans son dédain pour les honneurs, écrit Tacite, et son bon sens répudiait tout ce qu’on lui offrait en ce genre. » Il n’employait que dans ses correspondances avec les rois et dynastes d’Orient le nom d’Auguste, qui pourtant était bien le sien par droit d’hérédité, et paraissait toujours hésitant sur le titre à s’attribuer. « On n’est, disait-il, empereur qu’en présence de ses soldats, et seigneur que de ses esclaves; prince tout court vaudrait mieux : princeps, premier, le premier entre ses concitoyens. » Son discours prononcé au sénat à l’occasion de la dédicace d’un temple dont la province d’Espagne le voulait gratifier témoigne des clartés d’esprit qu’il avait là-dessus. « Je ne suis qu’un être périssable; ce que je fais, ce que je laisserai ne saurait être que d’un simple mortel, et je n’entrevois pas de plus belle gloire que celle de remplir dignement la première place dans l’état. Que la postérité dise de moi que j’ai bien mérité de mes aïeux, bien pourvu à vos intérêts, qu’on m’a toujours trouvé calme dans le danger, imperturbable dans le gouvernement, et je ne réclame rien davantage. Que ce soient là mes temples, mes statues, je n’en connais pas de plus durables, car devant les autres, édifices de pierre ou de marbre, la foule passe indifférente comme devant des sépultures, lorsque plus tard les jugemens ont varié; c’est pourquoi j’implore mes contemporains et les dieux afin qu’ils m’accordent, ceux-ci le calme et les connaissances nécessaires à mon œuvre de justice, et ceux-là, quand je ne serai plus, le sympathique souvenir que mes actes et mon nom auront mérité. » Un homme qui pensait, parlait et se comportait de la sorte devait assurément passer pour un trouble-fête au milieu d’une pareille cour et d’un pareil peuple. Auguste, le plus vain des tyrans sous son masque de paterne simplicité, avait mis à la mode cette espèce de candidature à l’immortalité. Monarque, princes et princesses, tout le monde en voulait; c’était à qui de son vivant passerait dieu ou déesse, et Rome applaudissait à ces métempsycoses, qui lui procuraient des cérémonies, et se passionnait à ces intermèdes comme elle se passionnait pour les combats du cirque et tous les autres jeux de la vie et de la mort. Avec leurs démonstrations joyeuses ou funèbres, ces populations du midi n’en finissent jamais. Quand Rome perdit Germanicus, elle ne voulait plus être consolée; quatre mois durant se prolongea cette affliction éperdue, quatre mois pendant lesquels il ne fut question ni de politique ni d’affaires, et les dieux savent seuls jusqu’où seraient allées ces lamentations, si le morose empereur, un beau matin, n’eût décrété qu’il était temps d’arrêter ce deuil et de courir aux fêtes de Cybèle, ce qu’on ne se fit pas dire deux fois. « Les princes sont mortels, il n’y a d’éternel que