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« tant chez Tibère était invétéré le culte de sa mère. » Là-dessus nous pouvons en croire Tacite, qui ne prodigue pas ses complimens. Cette attitude pleine d’égard, de déférence, est partout systématiquement maintenue, il se montre obligeant même alors qu’il voudrait le plus demeurer à l’écart. Prenons pour exemple l’épisode de Plancine dans le procès des empoisonnemens de Germanicus. Au sortir du sénat, Pison, voyant sa cause perdue, rentre chez lui, écrit à l’empereur, se met au bain, soupe à son ordinaire. Sur le tard, il ordonne qu’on ferme, et, resté seul, se coupe la gorge; mais Plancine, sa femme et sa complice, qui ne veut pas d’une pareille mort, Plancine, l’amie de cœur de Livie, se retourne alors vers son impératrice, laquelle interviendra près de Tibère. Il ne s’agissait point ici d’une inculpation secondaire. Le crime de Pison était surtout le crime de Plancine, caractère violent, dur, acharné, très grande dame d’ailleurs, un peu sorcière et corsant au besoin la préparation pharmaceutique d’une dose de surnaturel. En inventoriant la maison d’Antioche où Germanicus rendit l’âme, on découvrit, caché dans les murs et le sous-sol, tout un attirail de nécromancie : ossemens à moitié calcinés et rongés de moisissure, disques de plomb agrémentés de signes cabalistiques et portant le nom du jeune prince, nombre d’autres ustensiles qui servaient, selon les croyances du temps, à vouer une vie humaine aux dieux infernaux. Cet abominable sacrilège, Pison l’a payé de sa vie; mais Plancine, elle, n’a rien payé, et pourtant son crime n’était pas moindre. Si le mari a donné le poison, c’est la femme qui l’a préparé avec l’aide de la stryge Marcilla. Donc il faut que Plancine meure, ainsi le veut Agrippine, et Plancine mourra, si la mère de l’empereur ne se charge de la sauver.

Livie comprit ce qu’elle avait à faire et marcha droit. Pour Tibère, la question était délicate, il savait les bruits répandus sur lui et sur sa mère par Agrippine, qui les accusait l’un et l’autre d’être de complicité dans le crime. Assiégé de démonstrations calomnieuses qui la nuit venaient éclater jusque sous les murs de son palais, où ce cri : « rends-nous Germanicus ! » l’empêchait de dormir, il aurait voulu laisser son libre cours à la justice; mais Livie, à force d’insister, triompha de sa résistance. Il céda, et Plancine fut renvoyée de la plainte par égard pour l’intervention de l’impératrice-mère : ainsi prononça le verdict du sénat. Plancine était sauvée, du moins pour le moment, car l’expiation qui cette fois vainement l’avait cherchée devait l’atteindre treize ans après. Menacée de nouvelles poursuites, et, sa toute-puissante protectrice n’étant plus là pour la défendre, elle en finit de sa propre main avec la vie. Quantité de traits prouvent non moins que celui-là combien Tibère