Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/628

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son fils occupait le trône du monde, et sur ce trône nulle autre qu’elle ne s’assoirait, le nouvel empereur n’ayant point contracté de mariage depuis qu’il s’était séparé de Julie. Quelle femme oserait désormais se porter sa rivale? Auguste, par son testament, l’avait introduite dans la famille de César; elle était Julia Augusta, De toutes les antagonistes du passé, il n’en restait pas une. L’autre Julie, la vraie Julie, venait de mourir dans son exil, princesse déplorable, à qui cette longue suite d’attentats commis sur elle et sur sa race par l’implacable marâtre méritera bien des indulgences, et que tant d’infortunes jointes à tant d’esprit, de beauté, d’élégance, rendent presque intéressante. malgré ses vices. Les suprêmes dispositions de son père, l’avènement de Tibère, la fin tragique d Agrippa Posthumus, le dernier de ses fils, c’était plus qu’il n’en fallait pour briser une existence, au moral comme au physique si cruellement torturée depuis quinze ans, et on n’a pas besoin de croire au poison de Tibère pour s’expliquer un pareil dénoûment. Quelques mois à peine cette malheureuse avait survécu à son père, et sa fille, également déshéritée et proscrite, gémissait pour le reste de ses jours dans l’île de Trimeri. Quant à Scribonia, elle non plus ne pouvait nuire. Rentrée à Rome après avoir fermé les yeux de sa fille, la stoïque matrone avait eu pour première consolation le procès de son neveu Libo et le spectacle de sa mort. C’était une Romaine des vieux temps de la république, la mère génératrice d’une lignée de césars. Comme elle s’était associée au long supplice de sa fille, elle voulut aussi sa part dans la chute de son neveu. A quatre-vingt-dix ans, elle parcourt la ville en suppliante; on dirait une Niobé debout sur le seuil de l’empire et pleurant l’outrage commis envers elle par Auguste.

Livie en attendant s’emparait de l’heure présente et la gouvernait à son gré. Tibère avait l’empire, mais elle seule désormais allait régner. Pendant les cinquante-deux ans qu’avait duré son union, Livie s’était attribuée une large part dans les affaires; néanmoins cette influence avait des bornes que la sagesse du maître ne permettait guère de franchir. Ces limites ne tomberaient-elles pas d’elles-mêmes aujourd’hui qu’à la place d’Auguste montait ce fils dont elle avait depuis plus d’un demi-siècle préparé, façonné de ses mains la destinée, et dans lequel elle se complaisait à ne voir que le premier ses sujets? Sa longue expérience politique, l’autorité de son âge, lui donnaient des droits absolus à l’exercice du pouvoir. Cet avènement de Tibère au trône, Livie le considérait comme son œuvre à elle, et peut-être avait-elle bien ses raisons. Si, du vivant d’Auguste, Tibère avait présidé au gouvernement et fait à côté du souverain son apprentissage, si tant de jeunes princes qui semblaient fermer à ses pas le chemin étaient tombés à tour de rôle : Marcellus,