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étrange, comparer Julie à cette femme dont les dieux attestaient le mérite et qu’une statue d’airain immortalisa dans Rome!

Auguste avait soixante et un ans; sa gloire, son pouvoir, son bonheur domestique, touchaient au faîte. En revêtant la robe virile, Caïus d’abord, plus tard Lucius, son frère, avaient été présentés au peuple, et désormais, proclamés princes de la jeunesse, ces deux fils de Julie, dans leur brillante armure d’argent, conduisaient au Champ de Mars l’escadron de la chevalerie romaine. Salué lui-même par le sénat du titre de père de la patrie, le fortuné souverain entendait des millions de voix porter son nom jusqu’aux nues; c’é- tait le plus grand honneur que Rome pût décerner. A l’occasion de cet événement, des fêtes eurent lieu; Auguste les présida, partout accompagné de Julie, orgueil suprême de sa race. Et quel père en effet n’eût été fier d’une telle fille? A ne parler que de sa beauté, la distinction régnait sur tous ses traits, d’une expression ordinairement plutôt sévère; la ligne droite qui, tombant du front, dessinait le nez de forme grecque se courbait légèrement à la hauteur des yeux, et donnait au visage un air sombre, parfois dur, signe caractéristique des césars. La froideur et le dédain se lisaient sur les lèvres. Un sein sculpté dans le marbre, des épaules de déesse, prêtaient à l’ensemble de la physionomie des séductions faites pour tempérer l’excès de dignité. Au front brillait le diadème, tandis que sur la nuque trois rangées de perles cerclaient une masse de cheveux noirs tordus en un seul nœud. Au moment où son père lui présentait la main soit pour sortir du palais, soit pour y rentrer, un cri d’admiration jaillissait de toutes les poitrines, et, parmi tous ces hommes au milieu desquels elle passait impénétrable, combien n’étaient-ils pas ceux qui pouvaient se dire : « Vesta! j’ai soulevé tes voiles! » Malheureux Auguste! quel réveil l’attendait! Tandis qu’il s’abandonnait à ses paternelles effusions, d’horribles rumeurs circulaient par la ville. Il n’était bruit que des amours criminelles de Julie, de ses déportemens; on se racontait ses défis impudens portés à la morale publique, ses folles jouissances que doublait l’attrait irritant du péril.

L’orage se formait, grandissait. Ces fêtes que partageait Livie, ces odieuses solennités en l’honneur de Julie et des jeunes princes, ne lui rappelaient à elle que son Tibère disgracié. Le ramener au pied du trône, lui restituer avec son crédit les espérances d’autrefois, c’était l’œuvre où depuis longtemps s’appliquait la persévérante matrone. Julie, par l’impétuosité de ses déréglemens, semblait vouloir d’elle-même hâter sa perte. Déjà la catastrophe l’enveloppait, elle ne voyait rien; ses pas étaient suivis, de tous côtés des espions éventaient sa trace. Livie sentait son ennemie là où elle la voulait, et, quand elle eut bien reconnu que nul moyen ne