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« Que ferez-vous, lui dit ce jeune homme, que la timidité rendait audacieux, pour protéger les princes au cas où l’empereur leur commanderait de vider les provinces qu’ils ont injustement occupées? — Il n’y a que Dieu qui puisse me contraindre à dire plus que je n’en veux dire, répliqua le roi. C’est assez que vous sachiez que je n’abandonne pas mes amis dans une juste cause. L’empereur peut beaucoup pour la paix générale. Qu’il ne prête point son nom pour couvrir une usurpation. »

La guerre semblait inévitable : le roi achetait déjà ses chevaux; pourtant tout était encore suspendu à un fil. On sait comment l’amour d’Henri IV pour la princesse de Condé, réfugiée à Bruxelles, tantôt précipita, tantôt traversa ce qu’on est convenu de nommer le grand dessein. Tous les incidens de ce roman, dont la trame est mêlée à l’histoire, ont été racontés par M. le duc d’Aumale dans son Histoire des princes de Condé, et les dépêches hollandaises tendent à prouver qu’il ne se trompait pas quand il cherchait à démontrer que « l’ardeur amoureuse du roi n’était pas le vrai motif de sa politique... Ce n’était pas comme un paladin qu’il allait faire la guerre, c’était en grand capitaine et en grand roi. « M. Motley se complaît et s’attarde à ces instans solennels qui précèdent la fin lamentable d’Henri. Il recueille pieusement toutes ses paroles. « Je suis encore assez vert, disait le roi à Aerssens, pour mener une armée à Clèves. J’aurai bon marché de ces provinces; mais ces Allemands (il parlait de Brandebourg et de Neubourg) ne font que manger et dormir. Ils auront le profit et me laissent l’ennui. N’importe, que les états se tiennent prêts. » Le roi, avec 35,000 hommes, appuyé par 14,000 hommes commandés par Maurice, devait prendre les duchés. Le duc de la Force commandait une armée dans les Pyrénées. Enfin Henri IV donnait sa fille, par un traité secret, au fils aîné du duc de Savoie pour acheter son alliance; le duc entrait en campagne avec 12,000 hommes, appuyés par 15,000 Français, sous les ordres du maréchal de Lesdiguières. Henri IV promettait le Milanais au duc de Savoie, « et pourtant on proposa de demander au duc le duché de Savoie en contre-échange des secours du roi et de la cession de ses titres, en outre la ville de Gennes avec plain-pied en Italie[1]... »

Henri IV désirait ardemment que Barneveld vînt le voir à Paris. Il aurait voulu le tenir, le fasciner. Il le demandait sans cesse, mais l’avocat de Hollande était retenu par la crainte de déplaire au roi d’Angleterre, jaloux du roi de France. Il ne voulait pas paraître se livrer tout entier. Son ambassadeur l’alarmait par instans, lui écrivait : « Tout peut encore s’évaporer en fumée, si la princesse revient. »

  1. Dépêche d’Aerssens du 20 février 1610.