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de Colligny fut convaincue par ces argumens; elle raconta la conversation à Maurice, qui l’écouta froidement et sans rien répondre[1].

Barneveld avait à ce moment soixante-deux ans, Maurice n’en avait que quarante-deux : ce dernier avait passé vingt ans à faire la guerre, mais pendant trente ans le premier avait occupé le principat politique. Orateur, écrivain, diplomate, financier, il était à lui seul en Hollande plus que Sully, Villeroy, Jeannin, n’étaient en France à côté d’Henri IV. À cette heure critique de l’histoire, le sort de la France comme celui de la Hollande était dans les mains de deux hommes; mais, tandis que l’ambition et l’envie s’apprêtaient à séparer dans les Provinces-Unies le prince et le ministre, en France rien ne pouvait les diviser, car l’un était le roi. C’est l’avantage des monarchies d’incliner les plus grands noms devant un homme qui représente la patrie. On a vu quelquefois dans les démocraties de beaux exemples d’union; Seward et Lincoln ont défendu ensemble l’Union américaine contre des états rebelles, la constitution américaine est déjà assez ancienne pour tenir la place d’un roi. Quels prodiges n’eût pas accomplis l’union cordiale, généreuse, patriotique, de deux hommes tels que Maurice et Barneveld! Malheureusement ils ne trouvaient rien au-dessus d’eux, ni une dynastie, ni de vieilles institutions. La forme du gouvernement était trop élémentaire : les municipalités, qui se recrutaient dans l’oligarchie marchande, envoyaient leurs délégués aux assemblées provinciales; les sept assemblées provinciales nommaient des députés aux états-généraux. Les droits des états provinciaux, des états-généraux n’étaient définis par aucune loi. Si l’épée de l’Espagne n’avait été sans cesse tournée vers la Hollande, la discorde eût promptement séparé les provinces et les villes; la Hollande n’était ni république, ni monarchie, ses frontières politiques étaient aussi vagues que ses frontières naturelles.

La passion religieuse, l’intérêt du protestantisme, pouvaient-ils du moins servir de ciment à une confédération dont les liens étaient si lâches?, La Hollande] s’était d’abord révoltée contre l’inquisition espagnole; mais les plus terribles excès et l’amour même de la patrie ne déracinent que lentement la foi. La moitié des habitans étaient encore fidèles à la religion catholique, et les protestans vainqueurs se déchiraient entre eux. Un schisme avait failli éclater dans l’église protestante quand Arminius, en 1603, fut nommé professeur de théologie à Leyde. Gomar avait soutenu contre lui la doctrine orthodoxe de la prédestination. La foi populaire était le calvinisme

  1. Voyez les mémoires de Louis Aubéry, seigneur du Maurier, 1680. — Le père de l’auteur de ces mémoires était ambassadeur de France à La Haye.