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times innocentes ces enfans en bas âge qui doivent des attaques de convulsions à l’intempérance de leurs nourrices.

Les conséquences désastreuses des abus alcooliques sont si multipliées qu’il serait impossible d’en tenter ici l’énumération. Aux moralistes incombe la charge de décrire toutes les défaillances que l’alcoolisme traîne après lui, la servitude et les misères qu’il engendre; il leur appartient de faire le procès à ce vice, qui est l’agent le plus actif de la détresse, de l’indigence et des désordres de toute espèce. La statistique permet de suivre, par la marche ascendante de la criminalité, les progrès de la consommation de l’alcool. Dans l’intervalle de 1850 à 1870, le nombre moyen des morts accidentelles dues à ce fléau a augmenté dans la proportion de 331 à 587; le nombre des suicides s’est élevé de 240 à 664. La folie alcoolique surtout s’est multipliée dans des proportions effrayantes; les médecins aliénistes, témoins de cette progression redoutable, ont été les premiers à pousser le cri d’alarme et à provoquer, contre les ravages de l’alcoolisme, la croisade actuelle. M. Lunier pour la France entière, MM. Bouchereau et Magnan pour le seul hospice de Bicêtre, ont montré que les cas d’aliénation mentale par excès alcooliques s’étaient élevés progressivement de 12 pour 100, chiffre de 1850, à 29 pour 100, chiffre de 1870. Si l’on considère le tableau des ravages qu’il exerce sur la santé de l’homme, ravages qui se prolongent jusque sur sa descendance, on reconnaîtra qu’une société qui ne se protégerait pas contre un pareil agent de destruction ne serait bientôt plus, comme on l’a dit, qu’une ruine vivante.


III.

Le mot d’alcoolisme a été introduit dans la langue médicale vers 1852 par un médecin suédois, M. Magnus Huss, pour résumer l’ensemble des symptômes pathologiques qu’entraîne l’abus de l’alcool. C’est que, pour les chirurgiens comme pour les médecins, l’ivrogne est un malade, et un malade à part, chez lequel tous les phénomènes morbides se présentent avec un aspect spécial et particulièrement grave. L’ivrognerie n’est donc point une simple infraction à la morale et à l’hygiène, c’est un empoisonnement véritable qui a ses formes, ses symptômes, ses accidens, ses complications, ses terminaisons, comme toute autre maladie. Les manifestations de l’alcoolisme sont aujourd’hui suffisamment connues : elles présentent une marche tout à fait caractéristique et une succession prévue. Les irrégularités qui subsistent encore trouveront leur explication quelque jour; il est permis de les attribuer aux substances qui sont mêlées à l’alcool dans les liqueurs spiritueuses, et qui superposent leur action propre à celle de cet agent. Des recherches récentes