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d’eau, est définitivement entrée dans la thérapeutique habituelle de nos hôpitaux. — En résumé, l’alcool n’a jamais cessé d’appartenir à la médecine : autrefois par ses propriétés, aujourd’hui surtout par ses ravages. Il est comme la lance d’Achille, qui blessait par un côté et guérissait par l’autre. Recommandé jadis comme un remède, il est proscrit maintenant comme un poison, et on lui cherche à son tour un remède.

L’alcool s’est popularisé lentement dans notre pays. Jusqu’aux commencemens du XVIe siècle, il ne fut pas autre chose qu’une potion pharmaceutique dont la préparation était le monopole des apothicaires, qui partagèrent en 1514 leur privilège avec la corporation des vinaigriers. De celle-ci à son tour, vers la fin du règne de François Ier sortit la corporation des distillateurs. Les distilleries se multiplièrent, mais avec lenteur, plutôt pour satisfaire aux demandes du commerce étranger qu’aux besoins intérieurs. L’eau-de-vie et les liqueurs qui en dérivent se faisaient accepter difficilement dans notre pays de soleil et de coteaux, où le vin est abondant et généreux. Si, au dire des historiens grecs et latins, nos pères les Gaulois ont été le premier peuple qui « s’adonna au vin, » nous avons été le dernier qui se soit adonné à l’alcool. Les distilleries, qui s’étaient répandues en France pendant le cours du XVIIe siècle, et dont les plus célèbres étaient celles de Nantes et de Strasbourg, exportaient la plus grande partie de leurs eaux-de-vie en Angleterre. Quelques liqueurs spiritueuses étaient cependant très appréciées sous le règne de Louis XIV, et le grand roi lui-même estimait fort le rossolis. C’était une liqueur d’origine italienne, où l’alcool était aromatisé par le suc d’une plante appelée drosera ou rossolis, c’est-à-dire rosée du soleil. Ce nom lui vient de ce qu’une espèce de suc transparent s’y dépose sur les feuilles en formant autour du limbe une couronne de gouttelettes. Les alchimistes, émerveillés des particularités que présentait cette plante, dont les cils glanduleux s’agitent quand on vient à les irriter, la tenaient en grand honneur et la faisaient entrer dans une multitude de préparations. C’est à ces souvenirs ou simplement à la mode que le rossolis dut probablement une faveur qu’il ne méritait guère : le suc de la plante est acre, il possède même des propriétés nuisibles, et les prairies où le drosera est abondant sont réputées de mauvais pâturages. La liqueur favorite des gens de cour et des bourgeois pendant tout le XVIIe siècle, celle dont la vogue s’est prolongée le plus longtemps, fut le ratafia. On fabriquait plusieurs espèces de ratafia; la principale n’est autre chose que la préparation appelée aujourd’hui « liqueur de noyau. » Les conserves de fruits portaient aussi ce nom générique; mais de toutes ces boissons anodines on faisait peu d’abus, du moins en France.