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Sebz. Bien qu’il se fût emparé plusieurs fois de ces deux dernières villes, il lui fut impossible de s’y maintenir en paix; à peine s’était-il éloigné que le peuple conquis s’insurgeait de nouveau. Ces guerres incessantes n’eurent en définitive d’autre conséquence que de favoriser les progrès des Russes, qui s’avançaient lentement, mais sûrement, le long du Yaxartes, et devaient bientôt s’établir en maîtres à Samarcande.

Peut-être Nasroullah s’inquiéta-t-il davantage un moment de l’avance que les Anglais prenaient en Afghanistan. C’était en 1840. L’armée britannique avait franchi l’Indus; elle s’était emparée de Caboul, et le brave émir des Afghans, Dost-Mohamed, était venu chercher un refuge à Bokhara avec toute sa famille. On ne savait guère alors dans la Transoxiane ce que c’était que l’Angleterre, et les Anglais ne savaient guère mieux ce qu’était devenu l’empire légendaire de Gengis-Khan et de Timour. Cependant la sainte Bokhara, capitale religieuse et politique de l’Asie centrale, se présentait toujours à l’esprit avec une auréole de gloire, avec les traditions d’une grandeur passée dont la décadence n’apparaissait pas aux yeux. Alexandre Burnes avait traversé ces pays quelques années auparavant; ce jeune voyageur, qui ne se présentait avec aucun titre officiel, n’avait pu nouer aucun rapport entre l’émir et le gouverneur-général de l’Inde.

Autant que les événemens permettent de le deviner, lord Auckland, gouverneur-général de l’Inde, poursuivait alors un double but dans sa politique envers les khanats de l’Asie centrale. D’abord il voulait se les concilier, en raison des rapports fréquens que la conquête de l’Afghanistan devait lui donner avec eux, et de plus il avait la prétention de balancer l’influence que la Russie était supposée acquérir dans les vallées de l’Oxus et du Yaxartes. Peut-être accidentellement entrait-il dans ses idées de détruire l’affreux commerce d’esclaves qui se continuait dans les bazars du Kharism et de la Bokharie. Comment pénétrer au cœur de cette région inconnue? Les Afghans étaient en révolution : la Perse n’eût pas mieux demandé que de déclarer la guerre à Nasroullah, pourvu qu’on lui eût fourni des armes, de l’argent et des officiers; mais le shah était suspect de partialité en faveur des Russes. Il ne restait donc qu’un moyen, envoyer des ambassades aux émirs des trois khanats. Le premier qui partit fut le colonel Stoddart, excellent militaire, qu’un caractère brusque et violent rendait impropre pour une mission diplomatique. A peine arrivé à Bokhara, Stoddart encourut le déplaisir de l’émir, parce qu’il refusait de se soumettre au cérémonial habituel des ambassadeurs, et surtout parce qu’il se présentait les mains vides. Deux jours après l’audience de réception, il était mis en prison. Un peu plus tard, deux autres officiers, le capitaine Ab-