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vint lui apprendre que « son domicile, » — c’était sa tente qu’il appelait ambitieusement ainsi, — avait été violé. Il y court, et trouve quatre cawas, gendarmes du moudyr, buvant son café et fumant ses cigares. Il les chassa, et ils allèrent se plaindre au préfet des coups qu’ils avaient reçus pour son service. Le lendemain, un effendi vint poliment rappeler à l’Européen que les fouilles avaient été et qu’elles devaient demeurer suspendues (5 juin 1851). C’était plus franc, plus honnête que de le prendre par la faim. S’il n’avait pas en face l’ennemi qui se tenait soigneusement caché sans renoncer à ses pratiques ténébreuses, il connaissait du moins l’obstacle officiel, qu’il était peut-être moins difficile de surmonter. Le consul-général de France était sans instructions, et, en eût-il reçu, n’était-il pas désarmé et sans aucune autorité pour les exécuter? M. Mariette comprit qu’il ne pouvait compter que sur lui-même. Il se rendit chez le moudyr, qu’il trouva entouré de ses cawas et occupé à faire griller lui-même son café, opération délicate et sérieuse, œuvre grave, et le seul des soins domestiques qu’il répugne parfois en Orient de commettre à des mains mercenaires. En voyant entrer l’Européen, le fonctionnaire laissa échapper en arabe certaine parole malsonnante de « chien de chrétien... » Il n’avait pas achevé que le vigoureux athlète de l’archéologie lui prouva sur l’heure qu’un chrétien est un homme capable de se faire respecter même par un préfet turc. Les cawas mirent sabre au poing, mais la fière attitude du Français leur imposa, et le moudyr, élevé comme tout fonctionnaire égyptien dans le respect de la vie des étrangers et la crainte des réclamations consulaires, se releva tout étourdi, « calma les courages émus, » et combla son hôte des politesses les plus orientales. Quelques jours après, le 20 juin 1851, M. Mariette reçut l’autorisation de reprendre ses fouilles.

C’est vers cette époque que M. de Saulcy, revenant de Palestine, se trouva sur le bateau qui ramenait en France M. Batissier, notre consul à Suez. Or ce dernier connaissait les travaux de M. Mariette; il était venu le voir au désert et avait pu se rendre compte par lui-même des premiers résultats obtenus, gage de prochaines et importantes découvertes. M. de Saulcy fut émerveillé de ce qui lui en fut rapporté; dès son arrivée à Paris, sans perdre un instant, il fit grand bruit des fouilles du Sérapéum, Il trouva d’ailleurs les esprits bien préparés, car la nouvelle des premiers succès de ces fouilles était déjà connue du monde savant, et dans sa séance du 16 mai précédent l’Académie des Inscriptions, sur la proposition de M. Charles Lenormant, avait recommandé l’œuvre de M. Auguste Mariette à la sollicitude du gouvernement. L’assemblée nationale fut saisie de la demande des ministres, et le 16 août un crédit de 30,000 francs fut voté pour la poursuite des fouilles.