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mèrent alors que, si l’on parvenait à rendre les fouilles impossibles à l’instant même où elles allaient donner les plus importans résultats, telle collection publique, rivale du Louvre, pourrait en recueillir les fruits. C’était un riche aliment offert à de jalouses convoitises, et jamais instant n’avait été mieux choisi pour les satisfaire à l’aide d’un coup fourré, préparé avec autant d’art que d’opportunité. Au fond, Abbas-Pacha était assez indifférent, comme on se l’imagine sans peine, au succès des fouilles; mais il était facile de tirer parti de cette indifférence même et d’exploiter adroitement son peu de sympathie pour la France. Un règlement de Méhémet-Ali interdisait d’entreprendre des travaux en Égypte sans une autorisation préalable du gouvernement. Personne, il est vrai, ne se conformait à cette prescription périmée depuis longtemps, les moudyrs ou préfets de province donnaient eux-mêmes l’exemple des infractions, les étrangers, à la faveur de la même tolérance, devenue universelle, se livraient à des fouilles sur tous les points où la récolte promettait d’être fructueuse, et c’est ainsi que s’alimentait le vaste négoce des marchands d’antiquités du Caire et d’Alexandrie. On persuada sans peine au vice-roi de remettre en vigueur, — mais contre M. Mariette seul, — le règlement de Méhémet-Ali. L’ordre fut signé et bientôt signifié à « l’homme du désert » par le moudyr de la province de Giseh, dont dépendait la nécropole de Saqqarah, et la suspension de tout travail lui fut enjointe peu de jours après la découverte des pylônes du Sérapéum et avant même qu’il eût pu pénétrer dans la demeure du dieu; mais on ne trouva plus le fouilleur sur son chantier. Une de ces terribles ophthalmies si fréquentes en Égypte, et qui sont produites par la fraîcheur des brumes du Nil et par la brusque alternative de température entre le jour et la nuit venait de tomber sur ses yeux, brûlés par un soleil tropical succédant aux brouillards nocturnes; la poussière de sable soulevée incessamment autour de lui, l’âpre et continuel travail, les irritations de toute sorte, aggravèrent le mal, et il se trouva bientôt affligé d’une paralysie momentanée du nerf optique. Pour avoir trop bravé le soleil, il fallut se condamner pendant plusieurs semaines aux ténèbres. Avant même que l’ordre du vice-roi lui eût été transmis, force avait donc été à M. Mariette de suspendre ses travaux; il put craindre, en apprenant cette décision, qu’ils ne fussent arrêtés pour toujours.

Il guérit et revint au Sérapéum pour tenter de nouveaux efforts, et continuer avec des forces plus inégales que jamais la lutte commencée. Comme on le croyait découragé, presque perdu, on ne s’était pas trop hâté de le dépouiller du fruit de son travail, et, comme on ne songeait plus à lui, il put d’abord reprendre ses fouilles sans bruit; mais on ne tarda pas à en être instruit à Giseh, et un certain jour, — le 4 juin 1851, — pendant qu’il était sur son chantier, on