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richesses et de leur puissance. Les œuvres du génie anglais, moins fastueuses, sont plus utiles. Des ponts, des casernes, des gares de chemin de fer, ne sont pas comparables, sous le rapport de l’art, avec le mausolée de la reine Nourmahal, que les touristes admirent encore auprès de la ville d’Agra. Guidés par le même sentiment d’utilité pratique, les conquérans du XIXe siècle se sont efforcés d’introduire en Asie de nouvelles cultures auxquelles le sol et le climat sont favorables. Le coton, qui est une plante indigène, n’alimente pas seulement les manufactures du pays; depuis la guerre de sécession d’Amérique, l’exportation s’est élevée peu à peu jusqu’au point d’atteindre un chiffre annuel de 1,500,000 balles. Le thé est aussi indigène; mais on le négligeait. Il y a maintenant des commissaires spéciaux pour la culture du coton de même que pour celle du thé, et cette dernière fournit aux marchés de l’Asie centrale des produits qui rivalisent avec ceux de la Chine. Enfin en 1860 on est allé chercher jusqu’au Pérou des graines et des plantes de quinquina, afin d’acclimater cette plante médicinale dans les districts montagneux de l’Assam et des Neilgherries. L’essai en a fort bien réussi. Le climat chaud et humide de l’Inde engendre les fièvres; on récolte maintenant autant d’écorce de quinquina qu’en réclame la consommation locale, et l’on en exporte même de grandes quantités en Angleterre.

La mise en valeur du sol, l’exploitation rationnelle des ressources du pays, ont été depuis quinze ans la préoccupation dominante du gouvernement. Toutes les mesures des vice-rois qui se sont succédé pendant cette période ont eu pour objectif principal la prospérité des indigènes, que l’on s’efforçait en même temps de se concilier en répandant l’instruction. On s’est dit que le meilleur moyen de prévenir une nouvelle insurrection est de gouverner les Hindous pour eux-mêmes, mieux qu’ils ne le feraient eux-mêmes, et d’enrichir l’état en les enrichissant. Une paix profonde favorisait de si louables efforts. A peine quelques petites guerres locales contre des tribus montagnardes, dans le Bhoutan, aux environs de Peshawer et sur les confins de la Birmanie, ont-elles rompu la monotonie de la vie de garnison. La seule expédition d’importance à laquelle ait pris part l’armée anglo-indienne a été la courte guerre d’Abyssinie. Ce temps de repos n’a pas été perdu pour la reconstitution des troupes indigènes, que la grande révolte de 1857 avait totalement désorganisées. Avant cette formidable insurrection, la compagnie comptait parfois 240,000 natifs sous ses drapeaux; il n’y en a plus que 127,000 à côté de 63,000 soldats européens. Est-ce assez pour maintenir dans l’obéissance un si vaste territoire, une population si nombreuse? On se dirait plutôt que c’est trop, à voir comment ces forces sont réparties. Plus de la moitié des régimens sont échelonnés d’Allahabad à Peshawer; les plus fortes garnisons sont dans