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ration avec le baron Gros, pendant les campagnes de 1858 et 1860, il avait donné la mesure d’un homme d’état accompli. La vice-royauté de l’Inde couronnait dignement sa vie; il n’eut pas le temps d’en jouir, car il succomba dix-huit mois après avoir pris possession du gouvernement.

La nomination de sir John Lawrence à la vice-royauté des Indes, en 1862, fut une dérogation aux usages établis. En quatre-vingts ans, depuis Macartney jusqu’à lord Elgin, pendant la période de développement de la puissance anglaise en Asie, jamais aucun serviteur de la compagnie, quelque distingué qu’il fût, n’avait obtenu la première place. C’était en quelque sorte un principe de gouvernement de confier le pouvoir suprême à un homme étranger par sa vie antérieure aux affaires, mais aussi aux rivalités locales. Cette défiance devait-elle survivre à la compagnie dont le ministère anglais venait d’absorber toutes les attributions? On crut bon du moins de faire une exception. Sir John Lawrence, qui avait passé trente années de sa vie au milieu des Hindous, connaissait mieux l’Inde en revenant à Calcutta comme vice-roi qu’aucun de ses prédécesseurs ne l’avait connue au terme de ses fonctions. Préposé par lord Dalhousie quinze ans auparavant à l’administration du Pendjab, il avait fait preuve en ce poste d’une grande capacité, mais aussi d’un esprit dur et personnel. Comme vice-roi, il s’appliqua surtout, avec les convictions profondes que lui inspirait une longue expérience, à des réformes intérieures ; les écoles, les voies de communication, les lois agraires, les irrigations, semblèrent absorber toute son attention. Il paraissait ne vouloir tenir aucun compte des révolutions qui s’accomplissaient au-delà de ses frontières, en Afghanistan, dans le Turkestan, dans les provinces occidentales de la Chine, révolutions dont certains de ses prédécesseurs, plus entreprenans, auraient profité pour s’insinuer dans la politique des états avoisinans. Quoique sir John Lawrence ait été récompensé par l’élévation à la pairie lors de son retour en Angleterre, il est probable que l’on n’essaiera pas de nouveau de confier à un ancien fonctionnaire subalterne le gouvernement de l’Inde. L’homme que les circonstances portent à une si haute position a plus besoin de vues d’ensemble que de la connaissance des détails; un honnête bon sens et l’habitude des luttes parlementaires valent mieux, pour le chef d’un gouvernement, que les tendances autocratiques d’un mérite supérieur. Et puis, en face des princes indigènes de la péninsule, devenus vassaux ou même simples sujets de la Grande-Bretagne et restés cependant fiers de leur passé, un parvenu, si distingué qu’il soit par l’intelligence et l’éducation, n’a jamais l’influence d’un grand seigneur de race et d’allures aristocratiques.

Ce fut le grand succès de lord Mayo lorsqu’il prit possession de