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vernement. Un sage règlement de la propriété territoriale est donc un élément essentiel de la vie publique.


II.

Un pays fertile sous un climat trop chaud pour les Européens, une population exubérante, pacifique, imbue d’un respect superstitieux pour des traditions et des usages séculaires, formée par moitié ou environ d’hommes de race blanche à demi barbares, et pour le reste d’hommes noirs à demi civilisés, voilà de quoi se compose l’empire britannique en Asie. Une armée de 190,000 soldats, dont 127,000 indigènes, suffit à maintenir le calme sur cet immense territoire, et fournit même au besoin des corps détachés pour des expéditions en dehors. Les conquérans, depuis Clive jusqu’au vice-roi actuel, ne prétendent pas, comme les colons de l’Australie ou de l’Amérique du Nord, expulser les natifs, s’attribuer leurs terres et leur place au soleil; ils veulent seulement les gouverner : aussi ne sont-ils qu’en très petit nombre en comparaison de la masse des indigènes. Comment ont-ils organisé dans ces conditions un gouvernement efficace et durable? C’est ce que nous allons essayer de montrer. La machine administrative de ce grand royaume est en somme des moins compliquées.

Le vice-roi des Indes occupe la plus haute situation qu’un homme d’état puisse rêver dans le monde. Représentant de la reine d’Angleterre, délégué d’un ministère dont 3,000 lieues le séparent, débarrassé de toute assemblée élective, aidé plutôt qu’entravé par un conseil de gouvernement dont les avis ne sont même point obligatoires pour lui, il règne en maître presque absolu sur 200 millions d’âmes. Sans doute le parlement britannique est le véritable souverain aux Indes de même qu’en Angleterre; mais la chambre des communes écoute d’une oreille distraite discuter les affaires de ses possessions lointaines, même quand il s’agit du budget. Les 50 millions de livres sterling qui sont perçus et dépensés en Asie par le gouvernement se votent le plus souvent aux derniers jours de la session devant des banquettes vides. Le vice-roi est donc bien puissant; la coutume, encore plus forte chez les Anglais que les lois, empêche que cette toute-puissance n’engendre de graves abus. Ce qui est plus singulier, une si haute fonction est soustraite aux vicissitudes de la vie parlementaire. Que le ministère soit whig ou tory à Londres, le vice-roi reste à son poste pendant cinq ans, à moins que la mort ne mette un terme à ses travaux. Cette coutume fort sage rend l’administration locale plus fixe et plus régulière. En dépit de ces avantages que rehausse d’ailleurs une liste civile princière, la vice-royauté n’est pas recherchée par les hommes d’état les plus