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dire que les Anglais massacreraient le trop-plein de la population ou le déporteraient tout au moins dans les districts inhabités des montagnes. Malgré de nombreuses inexactitudes, ce recensement a fourni des résultats surprenans. Ainsi le gouvernement du Bengale se trouve avoir 67 millions d’habitans au lieu des 42 millions que les statistiques précédentes lui attribuaient. Pour l’Inde entière, ou du moins pour les provinces appartenant à l’Angleterre ou régies par elle, le total est de 192 millions d’âmes, à quoi se doit ajouter la population des états prétendus indépendans, tels que Hyderabad, le Radjpoutana, les provinces mahrattes, le Cachemire et autres royaumes de moindre importance placés sous le protectorat britannique. Plus que jamais, le vice-roi qui siège à Calcutta peut redire avec fierté le mot attribué à lord Dalhousie : « l’empereur de la Chine et moi, nous régnons sur la moitié du genre humain. » Cette immense agglomération d’hommes occupe un territoire comparable à l’Europe moins la Russie, mais elle n’y est pas répartie d’une façon uniforme. La population est assez clair-semée dans les provinces birmanes annexées et même dans le gouvernement de Bombay; elle est très dense dans le Bengale et dans l’Oude. Le district de Bénarès atteint le taux prodigieux de 306 habitans par kilomètre carré. On saura ce que veut dire ce chiffre en se rappelant que la moyenne est de 70 habitans au kilomètre pour la France entière, et ne dépasse pas 245 pour le département du Nord. Les cantons les plus peuplés sont, comme de juste, ceux qui produisent le plus de riz et de céréales. En temps ordinaire, le peuple est habituellement heureux, peu exigeant au surplus, façonné depuis des siècles à la servitude et plus disposé à recevoir la loi de maîtres étrangers qu’à se soumettre à des despotes indigènes. Les cultivateurs, qui font plus de la moitié du nombre total, ne sont ni pires ni meilleurs qu’en tout pays, honnêtes, pacifiques, dociles. Les salaires de l’ouvrier sont d’un bon marché incroyable ; un manœuvre se contente de 60 centimes par jour et souvent moins. L’Hindou a peu de besoins : il est à peine vêtu ; quelques poignées de riz suffisent à sa nourriture. Il est vrai qu’il est indolent, imprévoyant, et qu’il déploie peu de vigueur dans son travail de chaque jour. Quelle révolution économique produiront l’industrie moderne et le développement des voies de communication au milieu d’une pareille fourmilière d’êtres humains? Quelles en seront les conséquences et pour le commerce du monde et pour les natifs eux-mêmes ? Il serait difficile de le prévoir. Notons seulement que cette révolution commence, et que les chemins de fer causent, là comme partout, une hausse très marquée des salaires.

Dans un pays dont presque tous les habitans s’adonnent à la culture de la terre, la récolte est le grand événement de l’année.