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milieu du jour, se supporte néanmoins avec quelques précautions hygiéniques. Le reste de l’année, la température, qui devient excessive, est vraiment intolérable pour des hommes originaires de nos pays froids. Ceux qui vivent dans les provinces méridionales ne peuvent guère s’en préserver. Les fonctionnaires et les officiers anglais cantonnés dans le nord-ouest se retirent, autant que les exigences de la vie le leur permettent, sur les premiers contre-forts de l’Himalaya, dans les sanitaria situés à 1,500 ou 2,000 mètres au-dessus des plaines, et dont l’altitude comporte le climat en même temps que la flore de la zone tempérée. Quoique Calcutta soit toujours la capitale officielle, c’est à Simla que réside en été le vice-roi de l’Inde, accompagné par tout l’état-major de l’administration britannique.

Les provinces du nord-ouest attirent encore plus l’attention, si l’on considère les origines du peuple hindou. C’est dans le Pendjab et dans la vallée du Gange, entre Delhi et Bénarès, que se fixèrent à l’origine des temps historiques les tribus d’hommes à peau blanche descendues de l’Hindou-Kouch et du plateau de Pamir. Ce fut le berceau de la religion des brahmes; c’est là que les doctrines védiques se sont conservées pures, tandis que les peuplades de la même souche qui s’aventurèrent jusque dans le Bengale se convertissaient au bouddhisme. Quant aux aborigènes, que la littérature sanscrite représente comme des géans ou des mangeurs de chair crue, ils s’étaient retirés dans les monts Vindhyas, au centre de la péninsule, où ils se perpétuent dans un état de société primitif. Il en existe, dit-on, des millions aussi peu civilisés que possible dans les vallées hautes de la Nerbudda ou du Godavery. Grossiers, à peine vêtus, plutôt faits, suivant une juste expression de M. Hunter[1], pour le travail manuel que pour la pensée, ils vivent dans les forêts. La création des chemins de fer au milieu de leurs montagnes, l’extension de la culture du coton dans ces provinces, l’exploitation prochaine des riches bassins houillers que l’on y a découverts, les mettront bientôt en relations avec le monde extérieur. Paisibles et soumis d’ailleurs, ils ne semblent pas être un danger pour le gouvernement anglais.

Jusqu’en ces derniers temps, la Grande-Bretagne ne connaissait que par une vague estime le nombre de ses sujets asiatiques, lorsqu’un recensement eut lieu dans les premiers mois de l’année 1872, avec les précautions que l’on prend en Europe pour une telle opération, mais aussi avec les difficultés auxquelles se heurtent les statisticiens chez des peuples ignorans. Les indigènes s’imaginèrent que c’était le prélude de nouveaux impôts. Quelques-uns allèrent jusqu’à

  1. Voyez à ce sujet les Annals of rural Bengal du docteur Hunter, directeur-général de la statistique de l’Inde.