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tional-libéral, répond M. Sonnemann, ce serait baiser la main qui nous a souffletés en 1866; vous ne le ferez jamais! » Or on sait quelle fut l’issue de la lutte : n’en faut-il pas conclure que Francfort n’a pas été moralement reconquis? Enfin dans le parlement d’Allemagne le Danois M. Kryger, les 12 Polonais, les 15 Alsaciens-Lorrains, représentent un particularisme d’une autre sorte que celui de M. Ewald ou de M. Sonnemann. Les Allemands, il est vrai, montrent pour les protestations de ces vaincus le dédain cynique qui est familier aux adorateurs de la force en présence de la faiblesse désarmée. « Si les Alsaciens-Lorrains prennent plaisir à occuper le banc des rêveurs et à protester contre le monde brutal des faits, ce sera un spectacle regrettable, mais non dangereux. » Ainsi parle le principal organe des nationaux-libéraux. Vraiment ce parti ne se laisse pas aisément décontenancer; il est pourtant contraire aux règles élémentaires de la sagesse politique de mépriser tant d’ennemis à la fois. Unis aux catholiques et aux socialistes, les particularistes allemands, polonais, français, danois, ne formeront encore qu’une minorité, mais qui ne voit que ce n’est point là une minorité ordinaire, comme celle qui se rencontre dans tous les parlemens du monde?

M. de Bismarck n’est pas aussi satisfait que ses serviteurs feignent de l’être du résultat des élections, et la mauvaise humeur que, depuis un mois, il fait éclater aux yeux de l’Europe prouve qu’il ne se donne pas la peine de dissimuler ses sentimens. Il voit bien que le second parlement lui apprête des embarras qu’il n’a pas connus avec le premier. D’abord la « majorité nationale, » qui en 1871 comptait 307 députés sur 382, n’en a plus aujourd’hui que 259 sur 397 ; puis les élémens dont elle se compose se sont modifiés. Dans la majorité de 1871, les trois groupes conservateurs, c’est-à-dire les conservateurs proprement dits, les membres du parti de l’empire et ceux du parti libéral de l’empire, réunissaient 147 voix, les nationaux-libéraux et les progressistes 160; aujourd’hui les trois groupes conservateurs n’ont plus que 64 membres, les deux groupes libéraux en ont 195 : en 1871, les conservateurs formaient donc à peu près la moitié de la majorité nationale; ils n’en sont plus aujourd’hui que le tiers. Or, avec quelque amertume que M. de Bismarck leur ait souvent reproché de l’avoir méconnu et abandonné au cours de ses grands projets, il sent qu’on peut se fier plus résolument à un parti fidèle à son roi par principe et par tradition qu’à des libéraux qui ne soutiennent que par occasion la politique du gouvernement. Enfin l’esprit d’un homme d’état tel que M. de Bismarck est certainement frappé de la gravité de ce fait, que la minorité du parlement est composée d’adversaires absolus de l’empire. Encore une fois il est possible que les mesures projetées, les nouvelles lois