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ces misères. Aussi est-il possible que, faute de prendre les ménagemens nécessaires, le chancelier ne sache pas retenir, dans la discussion de la loi sur la presse, quelques voix nationales-libérales qui, en se joignant à celles des progressistes et de l’opposition, mettraient le gouvernement en minorité.

On dit pourtant que le parti national-libéral est décidé, pour éviter tout conflit, à ne reculer devant aucun sacrifice. S’il en est ainsi, l’Allemagne politique va donner au monde un singulier spectacle. On verra les catholiques se faire les champions de toutes les libertés, défendre le suffrage universel, dont leurs journaux chantent déjà la louange, et repousser toutes les lois d’exception, comme il y a quelques années, sous le ministère Manteuffel, ils renchérissaient sur les projets réactionnaires du gouvernement; on verra les libéraux au contraire, qui adjuraient alors les catholiques de faire cause commune avec eux, rester sourds à leur appel, et voter des lois qu’ils ont autrefois réprouvées. Que penser alors de cette « gravité allemande » tant vantée? Comment soutenir cette réputation d’honnêteté politique, de fidélité inébranlable aux opinions, qu’on représentait jadis comme le privilège de l’Allemagne, tout en déplorant que ces vertus la rendissent ingouvernable? Autant d’Allemands, disait-on, autant d’opinions; mais voici qu’il se découvre plusieurs opinions dans chaque Allemand, et que la foi politique varie avec les circonstances. Cette métamorphose rend plus facile, il est vrai, le gouvernement de l’Allemagne, elle écarte, dans la législature qui vient de s’ouvrir, tout danger de conflit; mais un pays achète chèrement un pareil avantage, lorsque les partis perdent l’estime d’eux-mêmes et de leurs adversaires, et que la nation, scandalisée de ces volte-faces, s’habitue à ne voir dans la politique que le jeu des intérêts et des passions.

Qu’il y ait d’ailleurs dans le parlement actuel quelques journées où le gouvernement se trouve en minorité, ou bien qu’il sorte victorieux de toutes les luttes, les dernières élections ne sont pas moins un fâcheux pronostic pour l’empire d’Allemagne. Le grand événement de la journée du 10 janvier, — on l’avait bien vu dès le premier jour, — c’est le succès des socialistes et des catholiques. C’est peu de chose assurément que la présence de 10 socialistes dans une assemblée de 397 membres. Le parlement d’Allemagne est plus placide que le nôtre; il écoutera les orateurs des « nouvelles couches sociales » toutes les fois qu’ils traiteront des questions dont il se préoccupe lui-même, comme celles du travail des enfans et des femmes dans les manufactures, de la durée normale de la journée de travail, des tribunaux d’arbitrage et de conciliation entre les patrons et les ouvriers; il s’efforcera de démêler, au milieu des exigences dont on fera devant lui la longue énumération, les préten-