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il y a les malades et les infirmes, il y a les tièdes et les indifférens, il y a les gens suspects d’inclination au schisme ou à l’hérésie. Cette dernière catégorie, qui comprend les adhérens des sectes non reconnues, devrait en réalité, dans les campagnes au moins, embrasser la presque totalité de ceux qui se refusent au devoir pascal. En dehors de ces sectaires retenus par la conscience, peu de Russes se laissent volontairement classer parmi les négligens. Le pope, doublement intéressé à l’accomplissement des prescriptions religieuses, dont il est responsable devant son évêque, et qui sont le gagne-pain de sa famille, ne peut les laisser oublier à ses ouailles. Comme il arrive partout où l’église exige le certificat d’un acte de piété, chez nous par exemple pour la confession avant le mariage religieux, les mœurs amènent souvent le clergé à dispenser lui-même l’indifférent ou le sceptique de la pratique d’une règle qui lui répugne. Au moyen d’une certaine offrande, on peut se faire inscrire sur les listes du pope sans se soumettre aux actes religieux dont elles enregistrent l’accomplissement. Le fait n’est point rare en Russie parmi les membres des sectes populaires. Le croyant ou l’indifférent paie ainsi pour recevoir le sacrement, l’incrédule et le sectaire pour en être dispensés. Dans un cas comme dans l’autre, le prêtre touche de son paroissien la redevance que lui attribue l’usage. La vie religieuse, l’esprit même de la piété, ne peuvent échapper entièrement à l’influence de pareilles coutumes. L’habitude de voir approcher de l’autel des âmes tièdes ou indifférentes rend le prêtre lui-même moins difficile sur les conditions spirituelles de la participation aux sacremens. Il est plus souvent porté à se contenter des dehors et de la soumission matérielle aux rites, et par là les dévotions extérieures, officielles, diminuent indirectement la valeur des autres. Des raisons analogues ont amené des mœurs à peu près semblables dans l’ancien empire byzantin, où sous la domination turque le clergé grec a conservé un rôle politique. C’est ainsi que des causes extérieures ont entretenu chez la plupart des peuples orthodoxes le formalisme religieux, auquel les inclinait déjà leur tempérament ou leur état de civilisation.

Le plus grand acte de la vie chrétienne, la communion, suggère dans l’église gréco-russe les mêmes remarques que la confession. La grande masse du peuple qui remplit si scrupuleusement les prescriptions religieuses ne s’approche du sacrement eucharistique qu’une fois l’an pendant le grand carême. La communion fréquente, qui, grâce à saint François de Sales et à saint Philippe de Néry, à Fénelon et aux jésuites, a prévalu dans la dévotion catholique, est étrangère à la piété orientale. S’il y a de ce côté chez quelques âmes un mouvement dans le sens où depuis deux ou trois siècles