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des autres. Grâce à cette législation, les pratiques religieuses et l’église même sont représentées comme un moyen de police; le gouvernement et le clergé restent exposés à des reproches ou à des soupçons souvent immérités, toujours exagérés. Dans certaines provinces, on entend dire que parfois le pope demande au pénitent s’il aime le tsar et la Russie, question qui n’admet naturellement qu’une réponse. On entend citer un article du code qui ordonne au confesseur de dénoncer les complots contre l’état, si l’homme qui s’accuse de ce crime ne se montre pas sincèrement repentant. De pareils textes de loi, en eux-mêmes contradictoires, sont des restes de ces législations barbares moins destinées à l’application qu’à l’intimidation. Les tyrans les plus soupçonneux, aux plus mauvais jours de la Russie, ont rarement pu arracher aux lèvres du clergé le secret qui leur avait été confié devant l’autel. L’église russe a eu comme l’église latine ses martyrs de la confession. Pour obtenir quelques aveux du confesseur de son fils Alexis, Pierre le Grand fut obligé de le mettre à la torture.

Ce qui pèse sur l’église, ce n’est point le manque de confiance en ses ministres, c’est la consécration légale donnée par l’état à des prescriptions religieuses qui ne regardent que la conscience. Là est une des principales raisons du formalisme tant reproché à l’orthodoxie russe. La contrainte matérielle est rare, presque uniquement bornée à des sectaires dont le gouvernement se refuse à reconnaître le culte; la contrainte morale est fréquente, presque générale. Grâce à l’intimité de l’église et de l’état, les mœurs religieuses de la Russie ne sont pas sans analogie avec celles de Rome sous le gouvernement papal. L’amour du repos et le désir de se trouver dans la règle, le besoin d’avancement ou la crainte d’attirer une surveillance désagréable amènent au pied de l’autel ceux que n’y conduit point la piété : le mougik ou le petit employé trouve sage d’aller prendre Pâques, ainsi que s’exprimaient les anciens sujets du saint-père. Pour beaucoup, les actes les plus mystérieux du christianisme deviennent ainsi une pure formalité. D’ordinaire, quand le prêtre leur a donné l’absolution, les employés ou les soldats reçoivent du sacristain leur billet de confession; en outre le pope tient registre des fidèles qui s’approchent des sacremens. Chaque année, les listes des paroisses sont envoyées aux évêques, celles des diocèses au saint-synode, qui en dresse un tableau d’ensemble, sur lequel son procureur-général fait un rapport à l’empereur. D’après cette statistique officielle des dévotions, il y a en dehors des enfans une quarantaine de millions de Russes orthodoxes qui remplissent leurs devoirs religieux. Ceux qui s’en dispensent, environ quatre ou cinq millions, sont divisés en plusieurs catégories;