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l’importance sociale. Marié et père de famille, le prêtre, plus rapproché du fidèle par le genre de vie, s’en sépare moins par les idées et les sentimens. La constitution de l’orthodoxie par état ou par peuple faisait déjà de ses ministres un clergé uniquement national; le mariage et la vie domestique en font des citoyens ayant dans l’état des intérêts analogues à ceux des autres. À cette différence entre les deux églises s’en joint une autre non moins digne d’attention. Chez les orthodoxes, le sacerdoce n’est pas, comme chez les catholiques, un sceau indélébile. Un crime, une faute, un simple changement dans les conditions de la vie, le veuvage par exemple, c’en est assez pour faire perdre les droits et souvent le caractère même de la prêtrise. Un prêtre russe peut, avec l’agrément du saint-synode, être délié de ses vœux et rentrer dans la vie civile; un pope convaincu d’un crime est dégradé comme un officier. Jadis, des prêtres dont on était mécontent on faisait des soldats. En dehors de ce clergé marié, l’orthodoxie orientale en a un autre voué au célibat; elle a des moines qui, pour le genre de vie, ressemblent aux prêtres catholiques comme les popes mariés aux ministres protestans. De même que l’église latine, elle a un clergé régulier à côté du clergé séculier; mais cette analogie recouvre de profondes différences. En Russie comme en Grèce, il y a des moines, il n’y a point d’ordres religieux; il y a des couvens isolés, il n’y a point de ces fédérations monastiques pourvues d’un gouvernement central, qui dans la nation et dans l’église forment comme des états spirituels. En Occident, les ordres religieux renoncent le plus souvent aux honneurs de l’épiscopat pour se consacrer à un ministère plus pénible ou plus spécial. En Orient, en Russie surtout, les couvens sont des pépinières d’évêques et de dignitaires ecclésiastiques.

Le contraste entre les deux églises est moindre pour le mariage. Fidèle aux répugnances des premiers chrétiens pour le renouvellement du lien conjugal, l’orthodoxie ne tolère que les secondes et les troisièmes noces, et se refuse à bénir les quatrièmes. Une autre différence a des conséquences pratiques plus fréquentes, et met encore l’église gréco-russe à une distance presque égale de Rome et de la réforme : avec les catholiques, elle fait du mariage un sacrement et en proclame l’indissolubilité; avec les protestans, elle admet d’après l’Évangile (saint Matthieu, v, 32) que l’infidélité d’un des époux autorise l’autre à s’en séparer. Selon ses traditions, l’adultère est la mort du mariage, et la violation du serment conjugal annule le sacrement. Les canons de l’église autorisent l’époux injurié à contracter une nouvelle union, ils interdisent les secondes noces à l’époux qui n’a pas tenu les promesses des premières. En Russie, où il n’y a pour les orthodoxes d’autre mariage que le mariage religieux, cette jurisprudence ecclésiastique tient lieu de législation civile. Elle a