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cliens par l’étrangeté des étiquettes : Élise ou l’innocence coupable, Hélène et son heureux malheur.

Quoiqu’il portât la crûsse et la Mitre, Pierre Camus a donné aux aventures d’amour une grande place dans ses romans, mais au lieu de les dénouer, suivant l’usage, par un enlèvement, un mariage, un suicide ou un assassinat, il les dénoue par une conversion. Rien n’est plus édifiant et plus monotone que ce scénario mystique tout parsemé d’homélies, et cependant les cent quatre-vingt-neuf volumes ont trouvé dans leur temps des lecteurs empressés parmi les femmes, car au XVIIe siècle comme aujourd’hui les âmes dévotes étaient indulgentes aux pauvretés littéraires ; il suffisait pour les attendrir de leur parler des joies du paradis. Les moines, encouragés par l’exemple d’un évêque, s’adonnèrent à ce genre facile, et publièrent de pieux volumes avec la double approbation du roi et des supérieurs de leurs ordres. En 1622, le Dijonnais Lourdelot, des frères prêcheurs, fit paraître la Courtisane solitaire « pour opposer, disait-il dans sa préface, les triomphes du parfait amour aux triomphes de l’amour mondain,-et faire germer dans les cœurs, au lieu des myrtes que la concupiscence y cultive, l’herbe salutaire que Dioscoride nomme vitex, autrement agnus castus, et qui a la propriété d’émousser les aiguillons de la chair. » L’intention était excellente, mais le livre n’en fut pas meilleur. Lourdelot et Pierre Camus étaient venus trop tard. Le mysticisme, effarouché par la réforme, s’était envolé vers le paradis, comme les mouches qui pétris- saient leur miel dans la main d’Asseneth, et seul, sous le règne de Louis XIII, saint François de Sales rappelait les grands docteurs des siècles de foi, saint Thomas, Hugues de Saint-Victor ou Bonaventure. Le roman dévot eut le même sort que l’Astrée, parce qu’il était tout aussi faux au point de vue de la réalité humaine, et chacun le croyait mort et bien mort lorsqu’on le vit tout à coup reparaître, il y a une trentaine d’années, en même temps que les miracles.

Ce n’étaient pas les gémissemens de la colombe mystique qui charmaient sous Louis XIII le peuple de Paris, c’était la voix criarde et narquoise des petits-fils de la Mère Sotte et de l’abbé Mau-Gouverne. En 1618, la foule se portait sur la place Dauphine pour s’égayer aux contes et aux joyeux propos de Tabarin, ce bateleur « fertile en gaillardises, » qui forme comme le trait d’union entre le XVIe siècle et le XVIIe, entre Rabelais et Molière. En compagnie de son associé Mondor, il débitait aux badauds des baumes et des lazzis, et dans un dialogue improvisé les deux triacleurs qui savaient « des merveilles merveilleusement merveilleuses » faisaient oublier à leur auditoire populaire la cherté du pain, la taille et les gabelles:. Tabarin posait une question : « en quel temps on a commencé à fron-