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intérieur, la signification naturelle et simple de ces élections, qui avaient d’autant plus d’importance qu’elles étaient la première application sérieuse de la réforme électorale de 1868, surtout du scrutin secret. On avait cru, on n’avait cessé de dire que cette condition du scrutin secret tournerait au profit des libéraux, qu’elle serait fatale au parti conservateur, On voit ce qui en est et ce que deviennent les réformes pratiquées par un peuple viril. L’opinion peut avoir ses entraînemens d’un instant, elle reprend vite son cours régulier, et les innovations les plus hardies ne servent pas à ébranler les institutions.

Cette expérience électorale est certes à l’honneur de l’Angleterre. À tout prendre, elle ne change pas les conditions de la vie publique. Le personnel politique n’est même guère modifié ; il y a peu d’éléments nouveaux dans la chambre des communes qui vient d’être élue. Le seul fait caractéristique, c’est le déplacement de la majorité, et ce qu’il y a de plus significatif encore, c’est que le parti conservateur a trouvé de nombreux adhérens parmi les populations ouvrières, dans les grandes villes de négoce et de travail, telles que Liverpool, Leeds, Westminster, Londres. Le revirement est évident, et M. Disraeli a pu le célébrer comme le signe rassurant de l’union permanente de toutes les forces sociales de l’Angleterre, de la propriété, du travail, du capital. C’est de plus la preuve que, malgré toutes les transformations qui s’accomplissent, les vieilles institutions anglaises ont toujours de profondes racines dans l’âme du peuple. M. Disraeli, dans un discours qu’il vient de prononcer à Birmingham, triomphe, non sans quelque raison, de cette démonstration, et naturellement il rend aujourd’hui à ses adversaires ironie pour ironie, il prend avec eux le ton vainqueur d’un homme qui arrive au pouvoir porté par l’opinion populaire. Le fait est que la première conséquence des élections est la chute de M. Gladstone. Il n’y a d’incertitude que sur l’heure où le cabinet libéral donnera sa démission, et où M. Disraeli sera appelé par la reine pour former un ministère dont l’un des principaux membres sera dans tous les cas lord Derby, qui a été déjà ministre sous le nom de lord Stanley, et qui est sans doute destiné par son talent, par ses idées, comme par sa naissance, à devenir le chef d’un torysme libéral. Lord Salisbury semble aussi un des hommes désignés pour entrer au pouvoir. Ce sera un ministère conservateur ; mais, bien que M. Disraeli ait assuré que les élections dernières étaient la condamnation de la politique irlandaise de M. Gladstone, ce serait une erreur singulière de croire qu’on va procéder par voie de réaction et revenir sur les réformes réalisées depuis cinq ans. Les faits accomplis sont accomplis, et le ministère conservateur n’y changera rien ; il se bornera probablement à s’arrêter dans la voie des innovations où s’était engagé M. Gladstone. Du reste, M. Disraeli, en homme qui se sent près du pouvoir, s’est montré assez sobre d’explications sur ses projets po-