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du parti conservateur. Vainement M. Gladstone, tout premier ministre qu’il est, a payé de sa personne, allant sous la pluie et le vent haranguer les électeurs de Greenwich et de Woolwich, déployant toutes les séductions de ses réformes financières, de son budget et de ses excédans, faisant même des quatrains humoristiques sur M. Disraeli ; la bataille est perdue. La majorité libérale, si compacte en 1868, est devenue la minorité en 1874.

Comment cela s’est-il fait ? comment s’est accomplie cette révolution ou cette évolution dans l’opinion anglaise ? M. Gladstone, il est vrai, a paru un instant avoir les chances les plus favorables. L’habile hardiesse avec laquelle il avait brusqué les élections au moment où ses adversaires s’y attendaient le moins ressemblait au défi d’un tacticien assuré du succès. Il se présentait aux électeurs les mains pleines de promesses opulentes. Pendant une administration de plus de cinq années, il avait certes déployé un esprit qui ne reculait pas devant les réformes les plus utiles et même les plus considérables. Malgré tout, la majorité libérale ne s’est pas retrouvée à l’appel de son chef, et cet échec s’explique peut-être par bien des causes, les unes sérieuses et générales, les autres d’un ordre intime et secondaire. Le ministère Gladstone a-t-il succombé uniquement parce qu’il a trop vécu, parce qu’un long règne finit par dissoudre les majorités les mieux disciplinées en développant tous les germes de division ? Les dissidens ont-ils refusé leur vote faute d’une satisfaction suffisante au sujet de la sécularisation de l’enseignement primaire et de l’abandon de la loi votée il y a quelques années sur la proposition de M. Forster ? Le cabinet a-t-il perdu des voix pour avoir aboli l’achat des grades dans l’armée, pour n’avoir pas assez rassuré ceux qui craignent de voir s’étendre à l’Angleterre elle-même les réformes territoriales accomplies en Irlande ? Les règlemens du ministre de l’intérieur, M. Bruce, sur la consommation des spiritueux ont-ils eu pour effet de transformer en ennemie la puissante corporation des débitans de bière ? On dit tout cela et on explique le dernier scrutin de bien d’autres manières encore. Toujours est-il que l’appât d’un budget merveilleux et de l’abolition de l’income-tax n’a pas suffi pour rallier les électeurs anglais, qui ont résisté à cette fascination des avantages matériels dont on les flattait.

Au fond, en remuant tant de choses en si peu d’années, en accomplissant des réformes si nombreuses et si sérieuses, qui touchent à toutes les conditions sociales de l’Angleterre, peut-être M. Gladstone a-t-il fini par émouvoir ou par réveiller ce sentiment conservateur qui est toujours puissant chez les Anglais, et qui, sans reculer devant le progrès, est facilement en garde contre les innovations précipitées. Les réformes réalisées par M. Gladstone resteront, on n’y touchera pas, et en même temps on éprouve le besoin de s’arrêter. C’est là peut-être, au point de vue