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être des intrus fort importuns. Des lotions avec des liquides caustiques ou corrosifs agissant durant quelques minutes sur la surface entière des sarmens reçus de l’autre côté de l’Atlantique seront une précaution utile, sinon un remède absolu contre les germes de ces cryptogames redoutées ; pourtant ce qui atténue nos craintes à ce sujet, c’est l’innocuité parfaite de l’introduction déjà ancienne en Europe du catawba et de l’isabelle, deux des cépages qui en Amérique sont le plus sujets aux maladies en question.

Eh quoi ! nous dira-t-on, vous osez courir le risque d’amener de nouveaux fléaux en important de nouvelles vignes ? N’est-ce déjà pas assez du phylloxéra, voulez-vous lui donner des aides pour achever de nous détruire ? La réponse à cette question, c’est l’étude même des cépages qu’on se propose d’introduire, question complexe et qui mérite quelques développemens indispensables.

Étant donnés l’existence immémoriale du phylloxéra aux États-Unis et le fait de la mort fatale de notre vigne d’Europe dans cette région, il est clair que, si des vignes américaines vivent encore, si quelques-unes prospèrent, c’est qu’elles ont contre leur ennemi séculaire une force de résistance incontestable. Que des vignes à l’état sauvage jouissent de ce privilége, c’est chose assez naturelle. On sait que les types spontanés sont en général plus robustes que leurs descendans civilisés par la culture. Parmi les variétés elles-mêmes dont la culture s’est emparée, il se peut qu’une sélection naturelle ait peu à peu éliminé celles qui ne pouvaient lutter contre l’insecte ennemi. Cette hypothèse, émise avec réserve par M. Riley, rendrait compte de la persistance de certaines vignes américaines, de la demi-résistance de quelques autres, du déclin relatif d’un certain nombre. Ce serait comme dans la bataille de la vie, où les forts résistent, les faibles succombent, et où la vitalité ne s’établit pour les premiers qu’après la destruction graduelle des seconds. Le combat durerait encore en Amérique, sinon pour les espèces ou les variétés spontanées, arrivées depuis longtemps à une sorte d’équilibre instable, au moins pour les variétés introduites dans la culture ou artificiellement créées et dont plusieurs n’auront probablement qu’une existence transitoire. Sans nous arrêter à la théorie, voyons d’abord à cet égard les faits évidens et tâchons d’en tirer à notre profit les conséquences pratiques.

Lorsque, dans le cours des années 1867, 1868, 1869, le phylloxéra eut détruit presque entier le vignoble de M. Laliman, près de Bordeaux, parmi ces vignes, la plupart d’origine américaine, quelques-unes demeurèrent luxuriantes et vigoureuses au milieu de leurs voisines misérables, mourantes ou mortes. Frappé de ce contraste, M, Laliman en conclut que ces cépages résistans au phylloxéra pour-