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dose du sucre pour diminuer d’autant au moyen de l’eau l’excès fréquent des acides et de l’arome. Ceux qui s’imaginent trouver dans le vin un produit direct du ciel s’insurgeront contre de telles manipulations ; mais les gens pratiques estimeront que l’art entre pour beaucoup dans la liqueur du vieux Noé, et réserveront leurs justes reproches à toute addition malfaisante, à toute fraude viciant la nature même du produit offert au consommateur.

Bien que la qualité du sol, l’exposition et les conditions locales doivent sûrement exercer en Amérique sur les produits de la vigne une influence incontestable, on n’en est pas venu, dans cet immense pays, à classer les vins d’après leurs provenances spéciales. La notion du cru, attachée en Europe comme un titre de noblesse à tels vins d’un clos, d’un coteau, d’un vignoble particulier, n’a pas encore pénétré dans la langue du commerce des vins d’Amérique. On y désigne ceux qui sont purs ou censés tels par le nom du cépage qui les produit, ou bien c’est sous des noms de vins d’Europe, oporto, claret (bordeaux) hock (pour hochheimer), riessling, que circulent des mélanges auxquels il serait difficile le plus souvent d’assigner un caractère déterminé. Accommodés au goût des Allemands, ces produits du commerce se consomment principalement dans l’ouest ; ils s’y rencontrent chez les négocians avec les vins venus de Californie, et qui, tantôt alcoolisés à outrance, tantôt affadis par le sucre, se vendent sous les noms de porto, d’aliso, d’angelico. Ces boissons ne valent que ce que vaut la maison qui les produit. À côté de ces breuvages de mérite secondaire ou nul, les producteurs directs et les négocians qui se respectent livrent des vins capables de satisfaire le goût difficile des connaisseurs de vins d’Europe ; on peut même dire que le vin, étant un objet de luxe en Amérique et se consommant plutôt par petits verres que par bouteilles, est en moyenne, dans ce pays, bien supérieur non-seulement aux affreux breuvages dont s’empoisonne, sous le nom de vin, le public de nos cabarets, mais à nos petits vins de consommation courante.

En présence de l’accroissement rapide de la culture de la vigne en Amérique et du perfectionnement des vins de ce grand pays, pouvons-nous craindre que notre commerce d’Europe souffre de cette concurrence, soit par la diminution de nos exportations, soit parce que les vins d’Amérique trouveraient leur voie sur nos marchés ? La question, aussitôt posée, — elle ne se serait pas même posée, il y a dix ans, — se résout par la négative. Bien des raisons en effet empêcheront les vins d’Amérique de supplanter les nôtres en Europe et sur les autres points du Nouveau-Monde. D’abord et par-dessus tout c’est la cherté de la main-d’œuvre dans presque tous les états de l’Union, et par suite les frais élevés de l’établissement