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de Cincinnati pour que la fabrication du vin d’Amérique, bien que fondée sur l’imitation des procédés les plus rationnels de l’Europe, devînt une sorte de triomphe national.

Tant que les raisins soumis à la vinification furent ceux du groupe des labrusca, l’obstacle à vaincre était d’éviter dans le vin la trop forte saveur framboisée du fruit. On y parvint pour le catawba, comme on le fait pour le concord, en extrayant immédiatement le premier jus des raisins et le faisant fermenter en dehors du marc. De cette façon, des raisins rouges ou noirs donnent un vin blanc, et l’arome, en grande partie concentré dans le tissu qui reste adhérent aux pellicules, ne passe qu’en proportion assez faible dans le vin. Il y en a dans ce cas juste assez pour communiquer au vin blanc ce bouquet léger que les Américains recherchent et qui ne déplaît pas même aux Français dans le champagne d’Amérique. Fabriqué en grand à Cincinnati, à Saint-Louis, à l’île Kelley, ce dernier vin est le plus connu, le plus justement estimé parmi tous les vins blancs des États-Unis. À ce titre, il ne sera pas sans intérêt de faire connaître un des établissemens d’où ce vin sort tous les ans par centaines de mille de bouteilles.

Situé dans une des îles du lac Érié, le chais de la Kelley’s Island wine company constitue un vaste bâtiment en pierre de taille, assez lourd d’aspect et auquel les quatre tourelles de ses angles donnent un faux air féodal peu en rapport avec sa destination. Toute la portion hors du sol forme une salle de 58 mètres de long sur 25 mètres de large. C’est là que se fait le pressage et la cuvaison des raisins. Deux plafonds de bois divisent la pièce en trois étages ; au rez-de-chaussée sont six grands pressoirs. Les raisins arrivent de la campagne, apportés par divers propriétaires : on les met dans une caisse roulant sur des rails, qui les amène sur une bascule ; on les pèse, on en paie le prix sur place, on les verse dans une cuve d’où un élévateur à auges, mû par la vapeur, les prend et les transporte au deuxième étage dans la trémie d’une machine à égrapper qui écrase les raisins, et, mettant de côté les rafles, n’en laisse passer que les grains et le jus. Le jus, séparé du marc, est alors conduit par des tuyaux dans les cuves à fermentation placées sur le premier plafond ; le marc descend au rez-de-chaussée pour être soumis aux pressoirs. Ceux-ci sont commandés par une machine à vapeur de 15 chevaux, placée dans une pièce annexe ; mais on peut à volonté faire agir les pressoirs par la vapeur ou par une barre à main. Ces pressoirs traitent chacun à la fois trois tonnes de marc en six heures, et telle est la rapidité de l’ensemble des opérations que l’on peut en six minutes recevoir 2 070 livres de raisins, les écraser et en mettre le jus dans les cuves ; vingt-quatre heures suffisent pour en traiter 72 tonnes. Dans le sous-sol sont disposés en