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améliorer son régime et y faire entrer en plus grande proportion le pain de blé. Or la consommation du pain blanc par l’habitant des campagnes est le signe le plus apparent et la marque la plus sûre de l’abondance générale et de la richesse publique.

Ce qui avait manqué jusqu’à ce jour aux populations rurales ou plutôt agricoles, c’est le débouché, c’est-à-dire les consommateurs ; 18 ou 19 millions de cultivateurs pour nourrir 11 ou 12 millions de citadins et d’industriels, c’était trop d’un côté, pas assez de l’autre : la demande des produits agricoles étant peu active, le prix en était nécessairement peu élevé. Le cultivateur vendait son blé et consommait lui-même du seigle et des pommes de terre, parce qu’il était trop pauvre pour s’offrir le luxe d’un meilleur régime. Le développement industriel et commercial qui s’est accéléré depuis lors a commencé de faire la prospérité de l’agriculture et la fortune des populations qui s’y rattachent. Les industriels, les commerçans, les hommes voués aux professions libérales, tous ceux en un mot qui achètent à l’agriculture les élémens de leur subsistance ne sont plus seulement de 11 à 12 millions comme en 1820, ils forment de 18 à 19 millions, et ces consommateurs agissent sur le prix des denrées agricoles tout à la fois par leur nombre et par l’intensité de leurs besoins. En devenant ainsi chaque jour plus active et plus exigeante, la consommation a fait monter tous les prix. Les cultivateurs, trompés par des effets dont ils ne connaissaient pas les causes, n’ont pas toujours apprécié avec justice la valeur de cette transformation, car elle a eu pour conséquence directe, tout en les enrichissant, d’élever aussi les salaires qu’ils paient à leurs aides. Pour répondre aux besoins croissans de la consommation, il fallait modifier des systèmes de culture consacrés par le temps, changer les assolemens, labourer plus profondément le sol, le fumer avec plus d’abondance. D’un autre côté, les progrès de l’industrie et le développement des travaux dans les villes tendaient à opérer un déplacement partiel de la population et à raréfier ainsi les bras dans les campagnes au moment même où un surcroit de main-d’œuvre semblait le plus nécessaire. De là cette coïncidence de la hausse des salaires et de la crise momentanée qui en a été la suite avec l’élévation croissante du prix de toutes les denrées agricoles. C’est l’effet ordinaire des transformations qui sont un peu brusques. Cette crise touche aujourd’hui à sa fin, et l’agriculture n’est pas loin d’avoir retrouvé son équilibre, soit par le développement de son outillage, qui supplée aux forces humaines, soit par l’extension donnée à la production animale, qui modère les besoins de travail.

La hausse des salaires n’avait d’ailleurs que des inconvéniens restreints, si l’on tient compte des avantages si considérables qu’assure à l’agriculture le développement de l’industrie et des travaux