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et plus sucrée, en font un produit perfectionné qu’un heureux caprice de la nature a mis à la portée de l’homme soit par voie de variation accidentelle de semis, soit peut-être par quelque influence d’hybridation qu’il serait difficile de démêler. Ce qui me ferait croire que l’hybridation aura pu intervenir dans la production des cépages américains en général et particulièrement de ceux du groupe labrusca, c’est que le duvet des feuilles du catawba et de l’isabelle ne reproduit pas exactement celui du labrusca sauvage. Moins dense et n’ayant pas sur le sec une sorte d’éclat demi-métallique, blanchâtre au lieu d’être fauve clair, ce duvet se rapproche de celui des feuilles de plusieurs cépages européens. Tel qu’il est en tout cas, fixé et multiplié par la bouture et la greffe, le catawba reste à juste titre l’orgueil des États-Unis. Le major Adlum se vantait d’avoir, en le propageant, plus fait pour la fortune de ce pays que s’il en avait payé la dette publique ; Longfellow même en a chanté les louanges, et le sparkling catawba, avec sa mousse légère et perlée, a pu sans trop d’ambition s’appeler le représentant, — les Américains disent le rival, — de notre vin de Champagne. Pour atteindre en si peu de temps une si haute renommée, il fallait au catawba plus que sa valeur intrinsèque : l’auteur de cette fortune méritée, le vrai créateur de la culture de la vigne et de la production des vins en Amérique, c’est Nathaniel Longworth, dont l’activité entière, et l’on sait ce qu’est l’activité d’un Américain, dont l’intelligence, les efforts, les sacrifices, largement récompensés par le succès, ont ouvert à son pays une source inépuisable de jouissance et de profits.

Les bords de l’Ohio, sur lesquels cette culture allait se développer, avaient déjà vu des embryons de vignobles, dus surtout aux tentatives des Français, premiers explorateurs de ce fleuve. Sur l’emplacement même qu’occupent aujourd’hui des rues de Cincinnati, un exilé français, nommé Mennessiur, avait dans la seconde moitié du siècle dernier planté un petit vignoble de vignes d’Europe. En juillet 1796, notre célèbre Volney, visitant Gallipolis, siége d’une pauvre petite colonie de compatriotes, y goûtait un vin rouge fait avec un raisin qu’on supposait européen et que les Français auraient apporté au fort Duquesne, mais qui, selon M. Buchanan, n’a été qu’une variété du labrusca. Peu de temps après, en 1799, Dufour de Vevay, descendant l’Ohio, trouvait à Marietta un colon français qui tous les ans faisait plusieurs barriques de vin avec des raisins que l’on disait apportés de France, mais dont les pareils, croissant naturellement dans les îles sablonneuses du fleuve, n’étaient autres que des labrusca, c’est-à-dire l’espèce d’où le Français du fort Venango avait retiré pour la culture le cépage connu de nos jours sous le nom de venango ou de minor’s seedling. Ce n’étaient