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les recueillir dans les ouvrages sur la viticulture américaine[1] : il en est un tout récent qui pourra les confirmer tous, et dont je puis parler de visu d’après des notes prises sur les lieux en septembre 1873. L’île Kelley, sur le lac Érié, est un lieu charmant dont la vigne fait la richesse. Cette culture pourtant n’y date que de peu d’années, de 1848 ; un des premiers colons, Allemand de naissance, feu Thomas Rush, y planta en 1860 huit cents pieds de vignes allemandes, comprenant dix-sept variétés, toutes venues de Neustadt an der Haardt en Bavière. Ces vignes poussèrent assez bien pendant trois ans, puis elles déclinèrent rapidement et furent successivement remplacées par des cépages indigènes. Les seuls pieds que j’en aie vus de survivans, bien que misérables et les racines garnies de phylloxéras, sont deux ou trois traminer, variété bien connue en Allemagne, et qui offrirait peut-être au phylloxéra une résistance relative. Tous ces faits ont amené les Américains à la conviction absolue que la vigne d’Europe est réfractaire à toute naturalisation dans leur pays.

En présence de ces déceptions réitérées, on a dû naturellement en chercher la cause. Les explications en pareil cas ne manquent jamais aux soi-disant praticiens, très dédaigneux d’habitude des recherches scientifiques, et qui se contentent volontiers d’hypothèses vagues, comme les intempéries, la différence de climat, le peu d’aptitude de la plante à une prétendue acclimatation. Si de telles causes agissent dans des cas donnés, peut-on les invoquer contre la vigne d’Europe prise en masse, c’est-à-dire dans l’ensemble de ses innombrables variétés, adaptées en Europe, en Asie, en Afrique, à des températures relativement excessives, depuis Potsdam jusqu’aux Canaries et même jusqu’en Égypte, dans le Fayoum, au-dessous du 30e degré de latitude ? L’Amérique du Nord elle-même n’a-t-elle pas en quelque sorte tous les climats depuis la Floride et la Louisiane, où mûrissent les bananes, jusqu’au Canada, dont les fleuves gèlent tous les ans, et n’est-ce pas sur toute cette étendue que la vigne d’Europe a succombé ? D’ailleurs, si ce dépérissement tenait aux températures extrêmes, comment s’expliquer que les jeunes plants commencent par prospérer, et que le mal augmente avec leur âge ? Enfin, si c’est une question de température, pourquoi la Californie est-elle peuplée de vastes vignobles, tous de variétés européennes, tous florissans et dont l’introduction date des premières années de la colonisation espagnole ? À vrai dire, la vigne d’Europe rencontre dans l’Amérique du Nord les conditions variées de climat, de sol, qui lui donnent dans l’ancien monde une

  1. Notamment dans Robert Buchanan, Culture of the grape, 8th edit., Cincinnati 1865 (la première édition est de 1850), — G. Husmann, The Cultivation of the native grape, New-York 1866, — Strong, Culture of the grape, Boston 1867.