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population dans les villes, le régime alimentaire des campagnes s’est beaucoup amélioré durant cette période d’un demi-siècle. Si l’on estime à 20 millions d’habitans sur 38 millions la partie de la population qui, soit dans les villes, soit dans les campagnes, ne consommait que du pain de blé en 1870 et s’approvisionnait habituellement chez le boulanger, on trouve qu’il lui fallait une provision annuelle de 54 à 55 millions d’hectolitres. Il restait donc, ce prélèvement opéré, 40 millions d’hectolitres disponibles pour l’usage des 18 millions d’habitans qui fabriquent eux-mêmes leur pain et le font cuire à domicile. Le méteil, le seigle, le mais et le sarrasin n’intervenaient plus dans la consommation sous la forme tle pain que pour une valeur alimentaire de 15 millions d’hectolitres de blé environ. Le surplus disponible de ces céréales alimentait l’industrie pour la fabrication des alcools ou servait à l’engraissement du bétail. La pomme de terre était exclue de la fabrication du pain. D’autres améliorations du régime avaient eu lieu. La viande de boucherie avait pénétré peu à peu dans la consommation des campagnes riches. Jusque dans les communes rurales les plus écartées, l’industrie de la boucherie apparaissait sous des dehors qui, pour être primitifs, n’en révélaient pas moins des signes certains de prospérité.

L’enquête agricole de 1866 a mis hors de doute cette amélioration de régime. Toutes les dépositions qui en forment le volumineux dossier s’accordent à reconnaître que l’habitant des campagnes, même celui de la plus humble condition, est mieux nourri que dans le passé. Les populations qui vivaient autrefois de seigle pur consomment aujourd’hui du pain de blé ou de méteil ; celles dont la bouillie de maïs et la galette de sarrasin constituaient les alimens presque exclusifs ont pu y associer une plus forte proportion de pain de seigle, de méteil ou d’orge.

C’est l’accroissement général d’aisance qui a déterminé ces changemens dans la nature et dans la qualité des consommations. L’expérience et le cours naturel du progrès ont amené plus d’une modification heureuse dans les procédés de la culture. L’extension de notre marché par l’accroissement de la population, par le perfectionnement des voies de transport et l’abaissement des barrières commerciales, a entraîné à son tour des changemens de prix qui ont exercé sur le sort des populations rurales une influence aussi heureuse qu’imprévue. Les profits du cultivateur se sont accrus, les salaires de ses aides se sont élevés, les plus modestes industries des campagnes les plus reculées ont conquis un peu d’aisance. Toute la population qui se consacre aux travaux du sol a trouvé ainsi dans la révolution économique opérée dans l’espace d’un demi-siècle les élémens d’un plus grand bien-être : elle a pu dès lors