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de la part des gardes nationaux ! Ces grossiers prétoriens de la démagogie exercèrent leurs brigandages même la nuit. Une femme raconte que les portes de son appartement ont été ouvertes de force après minuit par douze envahisseurs qui l’ont menacée de mort, l’ont contrainte de leur donner de l’eau-de-vie, et, après avoir brisé ses meubles, lui ont enlevé ses billets de banque et une théière d’argent. La femme d’un orfèvre est forcée aussi de donner de l’argent pour des fragmens de calice à des dévastateurs d’église. Ce n’est pas seulement la notion du droit public qui disparaît, le droit privé le plus élémentaire subit le même sort ; l’idée de la force règne seule. Comment la violence calculée qui devait se manifester par les décrets sur la destruction de la maison de M. Thiers, par la mesure sauvage de l’arrestation des otages et par des actes plus atroces, n’aurait-elle pas eu son écho dans la foule sous d’autres formes spoliatrices et sanguinaires ? Combien de lettres anonymes ou signées poussent l’autorité dans la voie des violences souvent les plus bizarres ! Un citoyen veut qu’on se serve des officiers peu empressés à payer de leur personne comme de paraballes pour les braves du second rang ; selon lui, il leur faut mettre dans la main à tous un fusil, chose qu’il déclare plus précieuse que le pain. Un autre prétendra que l’enrôlement forcé, auquel on n’avait pas encore procédé, répondrait au vœu secret des citoyens ; s’ils sont peu empressés à se faire inscrire, c’est qu’ils « attendent, dit-il, le moment d’être requis sans pourtant se déranger. » Il ne s’agit que de dispenser de cette peine ces « républicains sincères et dévoués, » quoique apathiques, et, quant à ceux qui ont passé la limite d’âge, ils « ne demandent pas mieux » que d’être organisés en bataillons pour faire le service des postes extérieurs. Pour venir en aide à ces bonnes volontés un peu endormies, les concierges pourront être utilement employés. On sait que la commune, dans sa rage de réquisitions impitoyables qui prirent jusqu’à des enfans de dix-sept ans, n’eut pas besoin de ce conseil donné en des termes si bénins pour faire usage de ce dernier moyen. Quand les bonnes volontés latentes se font un peu trop attendre, les voisins se chargent de donner l’éveil à l’autorité. De là bien des délations. Un homme de cinquante ans, qui demande prudemment qu’on taise son nom, dénonce dans sa maison cinq de ces réfractaires plus jeunes et plus valides que lui.

Hâtons-nous de le dire : si passive qu’ait été trop souvent l’attitude des honnêtes gens réduits à l’impuissance par la désorganisation de toutes les forces régulières, la preuve de protestations courageuses se trouve dans ces papiers mêmes. Les reporters s’étonnent, s’indignent de rencontrer ces signes d’irritation et de réprobation ; ils les consignent comme malgré eux. Il y a une scène pleine d’intérêt