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nifestes qui mettent tout à feu et à sang. Je ne m’éloigne pas, en parlant des papiers de la commune, de cette catégorie de gens qui ont vécu de mots plus que d’idées, qui ont étudié la philosophie sociale et fait leur rhétorique dans les Misérables de M. Victor Hugo, à moins qu’ils n’imitent le style du Chiffonnier de M. Félix Pyat, un des chefs littéraires et politiques prédestinés de ce gouvernement de mascarade. Où le mélodrame n’est-il pas ? Il est dans le gouvernement, il est dans la rue ; il y étale ses costumes de théâtre, il y déclame, par la bouche des derniers comparses, ses tirades anti-sociales, auxquelles nous avaient habitués sur les planches les matamores de la passion et du crime. Le charlatanisme de l’image, l’affectation de la bizarrerie, une sorte d’insolence tapageuse de la forme, se retrouvent dans presque toutes les pages de la littérature communeuse ; mais voici qui est plus inattendu. Tout cela se rencontre jusque dans ces papiers faits pour rester secrets, dans ces papiers de police, œuvre évidente d’hommes de lettres en disponibilité ! Une police romantique, une police livrée aux métaphores de haut goût, aux façons de dire cavalières, à une vraie débauche de pittoresque, qu’en pense-t-on ? Ici, Paris est comparé à « un vaste champ émaillé de képis, » Là, nous voyons « qu’on ne lit pas le programme de la commune, on le boit, » et, au milieu de bien d’autres jolies choses, que le « thermomètre politique monte, monte, monte, en faveur du nouveau gouvernement, » et que « le Parisien relevé a l’air tout à fait crâne ; » on peut ouvrir au hasard, voilà le ton. Courtisans du pouvoir qu’ils servent, ils mettent en beau style jusqu’aux vœux sanguinaires qu’ils recueillent dans la populace. « Il faut bien un lac de sang, écrit l’un d’eux, il y a tant de tyrannies à noyer ! » — Le même reporter prodigue ses comparaisons et ses fleurs poétiques pour aduler ce qui s’élève. De quelle façon colorée et hyperbolique il écrira : « L’écho antique changeait, dit-on, en paroles de louanges les imprécations que le peuple lançait parfois à l’Olympe : aussi Jupiter se croyait adoré. Moi, fidèle écho de la rue, je ne cherche pas plus à pallier les attaques qu’à amoindrir les éloges. Sifflets et bravos, tout entre dans ma besace de reporter. Aussi l’on peut me croire quand je dis qu’aujourd’hui, quoique nouvellement arrivé sur la grande scène, le citoyen Rossel a déjà beaucoup d’admirateurs. Oui, dit-on, il y a dans cette jeune enveloppe un parfum de génie. Après le césar de la tyrannie, voici peut-être le césar de la délivrance. Heureux celui qui peut se faire un nom en servant la cause de l’humanité ! » Ah ! comme ces reporters savent varier leur ton selon les règles de l’art ! Comme ils passent du sévère au plaisant ! Quand ils ne sont pas terribles, ils aiment à rire. Ce sont des plaisanteries du goût le plus douteux sur des agens de Versailles