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le signal du départ sans vouloir combattre. » Fabvier en effet avait donné le signal du départ ; mais, pour que ce départ pût s’effectuer sans encombre, il s’était exposé à sacrifier ses tacticos. La Fleur de Lys, à son retour de Syra, les trouva tous acculés à la plage du port de Mesta, réfugiés sur un îlot, sans eau, sans vivres, fusillés de loin par les Turcs. Il était temps que cette frégate se présentât pour les embarquer. Malheureusement la brise était fraîche, de pesantes rafales du nord descendaient de la montagne. Les embarcations de la frégate, restée sous voile, gagnaient lentement du terrain. Le capitaine Lalande les rappela, et, jouant pour ainsi dire sur cette manœuvre le sort de son navire, il vint passer si près de la côte que chacun à bord en frémit ; mais le coup d’œil du capitaine de la Fleur de Lys était sûr, et sa hardiesse n’eut jamais que l’apparence de la témérité. Déposées à diverses reprises presqu’à toucher l’îlot où se pressaient les débris de cette désastreuse expédition, les embarcations françaises eurent bientôt rapporté à bord de la Fleur de Lys de sept à huit cents tacticos, maigres, exténués, couverts de blessures mal guéries encore, toujours énergiques cependant et jusqu’au dernier moment dignes de leur chef. Arrivé à Syra le jeudi matin 27 mars, Fabvier voulut débarquer au quai de la Santé. La porte du lazaret lui fut fermée ; il la força et entra dans Syra l’épée à la main, la baïonnette croisée, au milieu des sifflets et des hurlemens de la foule. Ainsi se termina l’expédition de Chio. Capo d’Istria venait d’arriver en Grèce. Ce fut sous ces auspices qu’il prit possession du pouvoir.

Le 3 décembre 1827, l’amiral Codrington avait reçu l’ordre d’envoyer à Ancône un navire de guerre à la disposition du président qu’avait choisi l’assemblée de Trézène. Le vaisseau le Warspite fut désigné pour remplir cette mission. Capo d’Istria toucha d’abord à Malte, où il arriva le 10 janvier 1828 ; il en repartit le 15 pour se rendre à Égine sur le vaisseau anglais escorté de la frégate russe l’Hélène. Il ne lui avait fallu que cinq jours pour se concilier complètement la confiance et le bon vouloir des deux amiraux, peu habitués à voir les affaires de la Grèce en de pareilles mains. « J’aurais voulu, mon cher amiral, écrivait Codrington à l’amiral de Rigny, que vous eussiez pu vous rencontrer ici avec le comte Capo d’Istria et entendre, comme moi, l’accord de ses plans avec les nôtres. Le traité de Londres est son seul guide, et il est résolu à ne pas s’en écarter. Vous devriez l’aller voir afin de recueillir de sa propre bouche l’expression de ses sentimens, comme l’ont fait vos collègues. » L’amiral de Rigny crut devoir montrer moins d’empressement. Sa nature circonspecte éprouvait le besoin d’observer d’abord à distance l’attitude qu’allait prendre ce personnage, que quelques rapports lui représentaient déjà comme étant « tout de feu pour les