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encore à se jeter à la mer ; puis, me serrant la main : — Adieu, pilote, dit-il, je vais tout finir. — Peu de secondes après, l’explosion eut lieu, et je sautai en l’air. » Plus heureux que son capitaine, broyé par l’explosion, Trémintin fut jeté sans connaissance sur le rivage. Il avait un pied fracassé. Quatre matelots français s’étaient jetés à la mer ; ils arrivèrent à terre sans blessures. Le lendemain, on retrouva gisans sur le rivage les corps mutilés de 3 Français à côté de 70 cadavres grecs. L’héroïque sang-froid de Bisson n’avait pas laissé nos compatriotes mourir sans vengeance.

Construit à Scarpanto, armé à Naxie, le brick le Panayoti avait un équipage considérable. Cinquante-six prisonniers étaient restés à bord de la Magicienne, ils furent dirigés sur Toulon ; mais entre tous ces pirates désignés à la vindicte publique Bisson avait fait justice des plus criminels ; Cochrane, enfin réveillé, poursuivait les autres. Deux bricks de guerre commandés, l’un par un philhellène anglais, Pear O’Connor, l’autre par un capitaine hydriote, Nicolas Kiparissi, reçurent la mission de parcourir les diverses îles de l’Archipel et d’en expulser les Candiotes. Ces turbulens réfugiés étaient devenus les tyrans des paisibles localités qu’ils avaient contraintes de leur donner asile. On les soupçonnait justement d’être les auteurs ou les instigateurs de la plupart des méfaits dont la navigation neutre avait à se plaindre. Cochrane les refoula vers ce repaire de Grabouza dont dix-sept Crétois, partis de Cerigo, s’étaient emparés dans l’été de 1825, et qui renfermait en 1827, avec des valeurs énormes, produit de deux années de pillages, plusieurs milliers de combattans. Il espérait envoyer ainsi un utile secours aux insurgés, qui s’efforçaient de reprendre Candie sur les Égyptiens ; il n’envoyait en réalité qu’un nouveau renfort aux pirates. Les pirates heureusement n’avaient plus l’opinion pour eux. L’enthousiasme qu’excitait la gloire récemment acquise par nos armes, l’émotion produite par le dévoûment de ce jeune martyr qui promettait à la France un héros, tout cet ensemble de circonstances, fait pour remuer les cœurs et pour ramener à des idées plus saines les esprits, eussent-ils même été moins prompts à se raviser que les nôtres, avait fait passer l’intérêt du côté de la répression. Grabouza, en dépit des réclamations de l’amiral de Rigny, avait longtemps reçu les secours des comités philhellènes ; on considérait cet îlot comme une des citadelles de la liberté hellénique. La lumière se fit subitement. Abandonné par l’opinion, ce nid de brigands ne pouvait prétendre à subsister quand l’insurrection de Candie avortait. Le Commodore Staines sur l’Isis et le capitaine de Reverseaux sur la Pomone se chargèrent de le faire évacuer. Il y eut de la part des pirates quelque tentative de résistance. Vigoureusement conduite, l’attaque des alliés eut un plein succès. Grabouza cessa d’être un