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passa sur la frégate, à l’exception de 6 hommes qu’on crut devoir laisser à bord du Panayoti. Un officier de la Magicienne, l’enseigne de vaisseau Bisson, prit le commandement du brick. On lui donna pour le conduire 14 matelots et le pilote-côtier de la frégate, le second maître de timonerie Trémintin. Ces dispositions terminées, le Panayoti et la Magicienne appareillèrent d’Alexandrie le 1er novembre 1827. Les deux bâtimens devaient naviguer de conserve ; dans la nuit du 5, ils se séparèrent. Le mauvais temps survint, et la prise fut obligée de relâcher dans une des baies de l’île Stampalie, à trois milles environ de la ville. Deux des Grecs qu’on avait laissés à bord du brick, mal surveillés, se jetèrent à la mer et parvinrent à gagner la côte à la nage. Un drame se préparait, drame héroïque qui eut dans toute l’Europe un long retentissement.

Retenu par les vents contraires dans la petite baie où il avait jeté l’ancre, le capitaine Bisson ne douta pas un instant qu’il ne fût attaqué. Il se promit du moins de faire, avec ses 15 hommes, une défense vigoureuse. Les quatre canons du brick furent chargés ; on monta sur le pont les fusils et les sabres. À dix heures du soir, deux grands misticks furent aperçus doublant une des pointes de la baie. Chacun à bord du brick se rangea en silence à son poste. Le capitaine Bisson se porta sur le beaupré pour observer les mouvemens des embarcations suspectes. Ces embarcations étaient chargées de monde ; elles avaient serré leurs voiles et se dirigeaient à l’aviron vers l’avant du brick. Bisson les fit héler plusieurs fois ; il n’obtint aucune réponse. Les pirates nageaient avec force ; ils étaient sur le point d’accoster, quand Bisson, déchargeant sur eux les deux coups de son fusil de chasse, donna le signal de commencer le feu. Les pirates répondirent par une vive fusillade. Il faut laisser ici la parole au pilote Trémintin, car il est des narrations qu’il n’est pas permis d’altérer. Celle du brave pilote de la Magicienne, appartient à l’histoire. « Une des embarcations, dit-il, nous aborda par-dessous le beaupré, l’autre par la joue de bâbord. Plusieurs des nôtres avaient déjà succombé. En un instant, malgré tous nos efforts, malgré ceux de notre brave capitaine, plus d’une centaine de Grecs furent sur notre pont. Une grande partie s’affala aussitôt dans la cale pour piller. Je combattais à tribord, près du capot de la chambre. Le capitaine avait été repoussé du gaillard d’avant. Il vint à moi tout couvert de sang et me dit : — Ces brigands sont maîtres du navire ; la cale et le pont en sont remplis. C’est le moment de terminer l’affaire. — Il sauta aussitôt sur le tillac de l’avant-chambre, qui n’était qu’à trois pieds au-dessous du pont. C’est là qu’on avait déposé les poudres. Il tenait une mèche cachée dans sa main gauche. Dans cette position, il avait près de la moitié du corps en dehors du panneau. Il me donna l’ordre d’engager les Français qui survivaient