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timètres au-dessus de celui de la mer, ils étaient souvent envahis par elle, saturés de sel et par suite stérilisés. Il fallait donc les protéger contre l’envahissement des eaux de la mer et les dessaler par des irrigations continues d’eau fluviatile. Ce double but fut atteint par un projet de M. Paulin Talabot, ingénieur des ponts et chaussées, qui, présenté en 1832, fut exécuté par lui en 1835. Un canal appelé du Bourgidou, dérivé du Rhône, près de Silvarcal, communique sous les murs d’Aigues-Mortes avec celui de Beaucaire. M. Talabot fit construire au point de jonction des deux canaux une éclusée disposée de manière à arrêter les eaux de la mer lorsque celles-ci, poussées par les vents de sud-est, pénètrent par le Grau du Roi et remontent jusqu’à Aigues-Mortes. Par cette écluse, les marais étaient mis à l’abri des envahissemens de la mer, et les eaux douces empruntées aux canaux de Beaucaire et du Bourgidou furent amenées par un réseau de rigoles d’arrosement convenablement disposées. Le sol, complétement dessalé, était ensuite mis à sec et livré à la culture.

La population d’Aigues-Mortes a beaucoup varié. À l’époque de la construction des remparts, sous Philippe le Hardi, elle était de près de 10,000 âmes. Pendant les guerres civiles et religieuses, elle diminua progressivement, et sous l’influence des fièvres dues à l’exhalaison des marais elle était tombée en 1774 à 1,600 âmes. Depuis elle s’est accrue, et s’élève actuellement à 3,900 âmes. Jamais l’enceinte circonscrite par les remparts n’a été entièrement remplie : de nombreux jardins séparent les habitations et vers le sud-est un grand espace vide est occupé par les champs labourés. On voit que cette ville n’a pas accompli la destinée que ses fondateurs lui avaient assignée. Au lieu de jouer le rôle d’une place forte de premier ordre, elle n’a jamais été depuis les croisades qu’une ville située en dehors du rayon des opérations militaires et isolée dans les temps modernes du mouvement commercial par suite de l’absence d’une large communication avec la mer et de nombreuses artères se ramifiant dans l’intérieur de la France. Pour l’artiste et l’archéologue, elle aura toujours un immense intérêt, car, outre les admirables remparts, ils y verront encore le clocher de l’église du couvent des cordeliers fondé par saint Louis, la façade de l’église de Notre-Dame des Sablons, où le pieux monarque fit ses dévotions avant de partir pour ses deux croisades. Cette façade occupe maintenant le fond de l’église, car la façade actuelle porte la date de 1711. Dans l’église des pénitens gris, on s’arrête devant un immense retable en bois sculpté dû à Sabatier, artiste du siècle dernier, portant deux bas-reliefs également en bois, dont le style semble dénoter l’œuvre d’artistes allemands de la même époque. Ce retable encadre