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fin du XIVe siècle. Pour débarquer à la porte de la Marine, il a dû arriver par l’étang de la ville en longeant la digue de la Peyrade après avoir traversé l’étang du Repausset, qui s’ouvre encore maintenant par un grau situé à l’est du Grau Louis et qu’on nomme Grau de la Croisette[1]. Depuis le comblement dû aux atterrissemens, ce grau était le seul qui pût donner issue à l’excédant des eaux du Repausset lorsque celui-ci débordait à la suite de pluies abondantes et continues. Il est voisin du village de pêcheurs et des bains de mer du Grau du Roi, situé à l’embouchure du grand canal creusé sous Louis XV et qui met le bassin d’Aigues-Mortes en communication directe avec la mer. Nous ne décrirons pas les fêtes dont Aigues-Mortes fut le théâtre pour célébrer la réconciliation apparente des deux souverains. Une grande cheminée dans le style de la renaissance qui se trouve dans une maison précédée d’arcades indique soit la salle des festins, soit le logement de Charles-Quint. Les ornemens, représentant des trophées et des têtes d’animaux, ne sont pas du meilleur goût, mais l’ensemble est imposant et porte le cachet de ce style exubérant, de cette ornementation exagérée qui caractérise les œuvres des artistes inférieurs de la renaissance.

François Ier n’adopta pas la réforme ; cependant celle-ci, triomphante dans le nord de l’Europe, gagnait les provinces méridionales. Genève était un centre d’active propagande. En 1560, plusieurs villes du Languedoc avaient ouvertement embrassé le calvinisme. Le chevalier Daisse, gouverneur d’Aigues-Mortes, ayant autorisé un ministre genevois, appelé Hélie Boisset, à prêcher dans sa maison, le comte de Villars, présidant les états à Beaucaire, mande le gouverneur et le fait emprisonner ; lui-même se rend à Aigues-Mortes, accompagné de gens d’armes et du grand-prévôt, et là sans autre forme de procès fait pendre le prédicateur et ceux qui l’avaient écouté ; puis il écrit au roi qu’avec l’aide de Dieu il avait fait depêcher les coupables, et qu’il allait s’acheminer vers les montagnes pour y combattre « grand nombre de cette canaille qui s’y était retirée[2]. »

À l’avénement de Charles IX, le calme renaît ; mais le massacre de Vassy ranime la guerre civile. Aigues-Mortes resta au pouvoir des catholiques et reçut la visite de Charles IX, de sa mère et du prince de Navarre, âgé de onze ans, plus tard roi de France sous le nom de Henri IV. Après la Saint-Barthélemy, les protestans, nullement découragés, reprennent Saint-Gilles le 12 janvier 1575, et un détachement de soldats huguenots déguisés en pêcheurs s’approche en plein jour d’une porte d’Aigues-Mortes, y applique des sacs de pou-

  1. Voyez Ch. Lenthoric, le littoral d’Aigues-Mortes, avec une carte représentant le trajet de saint Louis et celui de Charles-Quint.
  2. Dom Vaissette, Histoire générais du Languedoc, t. V. — Preuves, p. 126.