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Louis IX, Philippe le Hardi et confirmés par leurs successeurs, elle était devenue le port le plus commerçant de la côte languedocienne. Les marchands de Montpellier eux-mêmes, qui entretenaient tant de relations avec l’Orient, étaient obligés de recevoir et d’expédier leurs marchandises par le port d’Aigues-Mortes, avec lequel ils communiquaient par un canal qui subsiste encore[1]. Cependant, à l’époque des pastoureaux et des routiers qui désolaient la France, les solides murailles d’Aigues-Mortes, comme celles d’Avignon, protégèrent les habitans et devinrent le refuge des gens de la campagne en arrêtant ces bandes de pillards. Vers le milieu du XIVe siècle, le commerce d’Aigues-Mortes commençait à languir. Le bras du Rhône qui coulait près de la ville ensablait le port, les étangs, et diminuait lui-même de profondeur en obstruant son propre lit de sable et de limon. Vers 1363, le roi Jean ordonna des réparations qui furent exécutées en partie et continuées sous Charles V et Charles VI ; mais on ne fit rien de définitif, et peu à peu les navires génois ou autres renoncèrent à un port dont l’entrée devenait de plus en plus précaire et difficile. Charles VI, le dernier protecteur d’Aigues-Mortes, étant tombé en enfance, la ville se dépeupla rapidement.

En 1399, il se passe à Aigues-Mortes un fait qui nous montre la bourgeoisie de cette époque moins effrayée des foudres ecclésiastiques qu’on ne l’affirme généralement. Le maréchal de Boucicaut assiégeait le pape Benoît XIII dans Avignon. Le cardinal Boniface, chargé d’une mission secrète, s’échappe de la ville à l’aide d’un déguisement. Il se réfugie à Aigues-Mortes et se tient caché pendant quelque temps dans le couvent des cordeliers. Au moment de s’embarquer, il est reconnu, et les habitans croient devoir le livrer au général français. Benoît XIII fulmine un interdit contre la ville d’Aigues-Mortes ; il resta sans effet. Trois ans après, quelques membres du conseil politique voulaient qu’on envoyât une députation auprès du pape pour le prier de révoquer son interdit ; mais Jacques Conseil, un des magistrats municipaux, émit l’avis « que l’on ne doit pas se plaindre quand on n’a pas été battu[2]. » Cette opinion prévalut, et la députation ne partit pas.

La démence de Charles VI avait livré la France aux discordes et aux guerres intestines. Les Bourguignons, commandés par le prince d’Orange, envahirent le Languedoc. Maître de Nîmes et de Montpellier, le prince se présente devant Aigues-Mortes, dont un gouverneur infidèle, Louis de Malepue, lui ouvre les portes. La plupart des habitans s’échappent furtivement et se réfugient à Beaucaire, occupé par

  1. A. Germain, Histoire du commerce de Montpellier, t. Ier, p. 52.
  2. Registre des délibérations de la commune, délibération du 8 décembre 1403.