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tres, et mourut sur l’emplacement même de l’ancienne Carthage deux mois après avoir quitté la France. Son fils aîné, Philippe III dit le Hardi, revint en France par la Sicile et l’Italie.

Ce fils de saint Louis n’oublia pas les desseins de son père sur Aigues-Mortes. Parti de Paris en février 1272 pour prendre possession du comté de Toulouse, il s’arrêta quelques jours à Marmande et signa dans le mois de mai un traité avec le Génois Guillaume Boccanegra, qui s’engageait à construire les remparts d’Aigues-Mortes pour la somme de 500 livres tournois (88 500 francs) ; ils furent bâtis sur le plan de ceux de Damiette. Saint Louis y avait séjourné pendant tout un hiver à sa première croisade, et, quoique la ville se fût rendue sans combat, il avait jugé qu’elle aurait pu résister énergiquement. D’ailleurs la topographie des deux villes est la même, toutes deux sont situées au bord d’un fleuve, non loin de la mer, dans un pays complétement plat, Damiette dans le delta du Nil, Aigues-Mortes dans celui du Rhône. J’ai de plus à cet égard le témoignage d’un géologue distingué, M. Jules Itier. Au premier aspect des remparts d’Aigues-Mortes, le souvenir de ceux de Damiette, qu’il avait vus quelques années auparavant, revint à son esprit. Ces remparts sont intacts, la ville n’ayant jamais subi de siége en règle, et n’ayant jamais été exposée aux puissans moyens de destruction de l’artillerie moderne. Quelques restaurations partielles exécutées en continuant l’appareillage primitif ne rompent pas l’harmonie générale. Nous avons donc sous les yeux un monument intact de l’architecture militaire à la fin du XIIIe siècle.

Les remparts ont la forme d’un parallélogramme coupé sur un de ses angles : ils sont construits en pierres calcaires des anciennes carrières de Beaucaire, qui arrivaient par le bras, alors navigable, du Rhône. L’appareillage se compose de pierres carrées taillées en bossage et couvertes de signes lapidaires. La hauteur des murs est de 11 mètres sur 2 mètres 1/2 d’épaisseur à la base ; ils se terminent en haut par une ligne dentelée de créneaux rectangulaires percés d’étroites meurtrières ou archères. Sur la face méridionale, on remarque sous la ligne des créneaux les indices de trous carrés destinés à recevoir les poutres ou barres qui portaient les balcons en bois appelés hourds[1], d’où les assiégés pouvaient commander complétement le pied du mur et empêcher les pionniers de l’attaquer ou d’appliquer des échelles contre les remparts. Ils sont percés de trois petites et quatre grandes portes correspondant aux quatre faces du quadrilatère. La principale, appelée Porte-Vieille ou de La Gardette, fait face à la route de Lunel ; une autre, à l’occi-

  1. Voyez Viollet-Le-Duc, Dictionnaire d’architecture, t. Ier, p. 358, et t. VI, p. 122.