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baye, contribuèrent à cette œuvre pieuse, et en 1095 le monastère était plus riche qu’auparavant. À la même époque, les moines s’affranchirent de la tutelle des seigneurs temporels ou ecclésiastiques des environs ; en 1099, une bulle du pape Urbain II déclarait que l’abbé de Psalmodi ne relèverait désormais que du saint-siége. Dans le cours du XIIe siècle, l’abbaye devint de plus en plus florissante : elle était propriétaire de tout le pays environnant. Aigues-Mortes eut sa part de prospérité : des navires de Gênes, d’Alexandrie et de presque tous les points de la Méditerranée remontaient à travers les étangs qui communiquaient avec la mer, et jetaient l’ancre sous ses murs.

Ces destinées pacifiques devaient bientôt changer. Louis IX, à la suite d’une maladie grave, avait fait vœu en 1244 de se croiser. Il ne possédait sur la Méditerranée qu’un seul port, celui de Marseille, qui était sans défense. Le roi jeta les yeux sur Aigues-Mortes, et proposa à Raymond, abbé de Psalmodi, de lui céder ce territoire. L’acte de cession est daté du mois d’août 1248, mais déjà saint Louis avait construit à la place de la tour de Matafère celle de Constance, qui est encore debout : elle est ronde avec un diamètre de 22m,76, une épaisseur de murs de 6m,17, et porte sur sa plateforme une tourelle terminée par une cage en fer forgé destinée à contenir les broussailles que l’on allumait pendant la nuit en guise de phare pour signaler aux navigateurs l’emplacement du port d’Aigues-Mortes. Les moines n’avaient pas aliéné toute la banlieue de la ville ou du moins le droit de pêche dans les étangs, car M. l’ingénieur Dhombres a découvert vers l’extrémité de l’ancienne digue de la Peyrade, et M. Ch. Lentheric a décrit et figuré[1] une borne triangulaire portant d’un côté l’écusson fleurdelisé et de l’autre la crosse abbatiale des abbés de Psalmodi. D’autres travaux devaient avoir été déjà commencés à cette époque et en particulier ceux du port et du canal, pour lesquels le saint roi ne craignit pas de violer les antiques sépultures de Maguelonne pour en utiliser les pierres dans ses nouvelles constructions. Le naïf écrivain[2] qui a rapporté ce fait attribue à cette violation de l’asile des morts la funeste issue de l’expédition de saint Louis. Celui-ci, alors plein d’espoir, recevait à Saint-Denis le 12 juin 1248 l’oriflamme des mains du cardinal Odon de Château-Raoul : il se rendit d’abord à Cluny, puis à Lyon, où le pape Innocent IV avait réuni un concile. Vainement saint Louis fit tous ses efforts pour le réconcilier avec Frédéric II, empereur d’Allemagne, qui ne se refusait à aucune concession. Un silence

  1. Le Littoral d’Aigues-Mortes au treizième et au quatorzième siècle, p. 48.
  2. Gariel, Idée générale de la ville de Montpellier, 1665.