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die, la récolte serait bonne, médiocre ou nulle, suivant le régime météorologique de l’année, et par conséquent trop précaire pour que cette industrie puisse devenir fructueuse.

On a quelquefois comparé Aigues-Mortes à Ostie, l’ancien port de Rome. En effet, les deux villes sont situées dans un delta : Ostie, sur les bords du Tibre, toujours navigable, Aigues-Mortes sur ceux d’un bras du Rhône éteint depuis quatre siècles. L’analogie s’arrête là, car Aigues-Mortes est toujours à la même distance de la côte depuis les temps historiques, tandis que celle d’Ostie à la mer a considérablement augmenté. Le Tibre aux eaux jaunâtres (flavus Tiber), prolongeant son delta, a déposé dans ses énormes crues[1] les couches de limon qui ont enseveli Ostie et préservé ses édifices comme les cendres du Vésuve nous ont conservé ceux de Pompéi. J’ai visité ces ruines l’année dernière. Grâce à la sollicitude éclairée du gouvernement italien, les fouilles commencées en 1855 par Pie IX sont poursuivies activement. Les fondemens d’une ville romaine ont été restitués au jour. Un temple grandiose, une voie des tombeaux, une rue de 150 mètres de long aboutissant au Tibre et bordée d’arcades sous lesquelles s’ouvrent des magasins renfermant d’énormes amphores enterrées dans le sol, régulièrement alignées et remplies de céréales, une belle maison particulière contenant des bassins ornés de colonnes encore debout, et une chapelle consacrée au culte de Mitra, tels sont les restes de l’Ostie impériale que ces fouilles ont découverts jusqu’ici[2]. Les monticules dont le terrain environnant est bosselé annoncent que le sol recèle encore des amas de ruines et de nombreuses substructions. Ostie a changé de place. Sept siècles avant Jésus-Christ, Ancus Martius a fondé cette ville à l’embouchure même du Tibre, alors située en amont de l’Ostie impériale. Cet emplacement primitif du port est maintenant à 6 kilomètres 1/2 de l’embouchure actuelle. Pendant plusieurs siècles, la ville descendait pour ainsi dire sur la rive gauche du fleuve pour se rapprocher de son embouchure, qui s’éloignait sans cesse, à mesure que le delta s’avançait dans la mer. Déjà sous Claude, l’Ostie impériale n’était plus à l’embouchure, qui s’ensablait continuellement. Cet empereur fit alors creuser en amont un canal toujours navigable, qui de nos jours aboutit aux bains de mer de Fiumicino, et construire un port figuré sur des monnaies et dont les traces sont encore visibles. Trajan y ajouta un bassin pen-

  1. D’après les observations du professeur Betocchi, la crue du Tibre a atteint 17 mètres 22 centimètres le 29 décembre 1870 à l’échelle hydrométrique de la Ripetta, à Rome.
  2. Sulle scoperte archeologiche della citta e provincia di Roma nelli anni 1871-1872, p. 88.