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sanglant à la Divinité que de supposer qu’on la trompe, qu’on la joue par de vains simulacres ? Le véritable athée est celui qui fait d’une pensée aussi impie la règle de sa politique et croit par un tel sacrilége servir la cause du bien et du vrai.

En conseillant la liberté, nous ne croyons nullement donner un conseil contraire aux intérêts de l’esprit moderne. Notre conviction est que par la liberté l’esprit moderne triomphera, et que le cours naturel des choses amènera la fin de la superstition beaucoup mieux que toutes les mesures pénales et administratives. C’est une très fausse idée de croire que la persécution directe abattra l’ultramontanisme ; elle le fortifiera. La liberté, j’entends la vraie liberté, celle qui ne s’occupe pas plus de protéger que de persécuter, sera la destruction de l’unité catholique en ce qu’elle a de dangereux. L’unité catholique, je l’ai dit souvent, ne repose que sur la protection des états ; elle est le fruit des concordats conclus depuis le commencement de ce siècle à l’imitation de celui de Napoléon Ier. Que ces pactes entre le saint-siége et les états soient rompus (c’est le saint-siége qui est en train de prendre l’initiative de la rupture), et les églises trop fortes se dissoudront. L’état concordataire, même persécuteur, donne bien plus à l’église par les garanties dont il la couvre qu’il ne lui enlève par ses vexations. Retirer du même coup les garanties et les lois tracassières, voilà la sagesse. Le sort de toute grande communauté religieuse qui n’a pas une force extérieure pour maintenir son unité est la division. La communauté a des biens, une individualité civile. Tandis que le pouvoir maintient le sens de la dénomination de cette église, déclare, par exemple, qu’il ne reconnaît pour catholiques que ceux qui sont en communion avec le pape et admettent telle ou telle croyance, le schisme est impossible ; mais le jour où l’état n’attache plus aucune valeur dogmatique aux dénominations des églises, le jour où il partage les propriétés au prorata du nombre, quand des parties contendantes viennent se présenter devant ses tribunaux en déclarant ne pouvoir plus vivre ensemble, tout est changé immédiatement. Déjà, avant Constantin, les églises chrétiennes eurent besoin de la main de l’autorité païenne pour terminer les différends qui s’élevaient dans leur sein à propos de l’usufruit des propriétés communes. Aurélien, consulté sur une question de ce genre à Antioche, décida que la maison épiscopale serait adjugée à celui auquel les évêques d’Italie et de Rome adresseraient leurs lettres[1]. L’histoire ecclésiastique n’est qu’un tissu de schismes jusqu’à ce que les empereurs chrétiens y mettent la paix. Concevoir une grande église sans un pouvoir temporel qui la main-

  1. Voyez le récit de la curieuse affaire de Paul de Samosate, très bien racontée dans la Revue par M. Réville, 1er mai 1868.