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actes qu’un ami de la liberté ne peut approuver. Que dirions-nous, si un gouvernement catholique se donnait le droit de pénétrer dans l’intérieur des églises protestantes, d’en modifier de fond en comble l’ordonnance, de toucher à des points que les protestans tiennent pour de foi ? Il est clair que le catholique romain du canton de Genève est par cette législation gêné dans son culte. Il est vrai qu’il garde la liberté de ne pas adhérer à la nouvelle organisation, il peut continuer à ne voir que ses prêtres, à recevoir d’eux seuls les sacremens ; mais il a droit de se plaindre que l’état se prononce sur la signification du mot catholique, n’applique plus ce nom qu’à des personnes, selon lui, exclues de la communion catholique, et fasse jouir ces personnes seules des priviléges légaux attachés audit nom.

Un fait grave se produisit cependant. La majorité des catholiques du canton de Genève se montra favorable à ces mesures, selon nous peu libérales. L’inverse de ce qui s’était passé en Allemagne eut lieu ; la majorité fut pour le schisme. C’est que le mouvement catholique libéral de la Suisse venait de causes tout à fait différentes de celles qui provoquent le mouvement vieux-catholique de l’Allemagne. En Allemagne, la révolte contre Rome a son principe dans une sorte d’aristocratie religieuse de docteurs en théologie, de professeurs, de laïques notables. En Suisse, l’opposition à l’ultramontanisme vient de la démocratie. Il ne faut pas se le dissimuler, la démocratie est, après le protestantisme germanique, le pire ennemi de la cour de Rome. Il y a là une antipathie que nous n’avons pas pour le moment à expliquer ; il suffit de la constater. Les populations catholiques de la Suisse française, abandonnées à elles-mêmes, n’auraient pas vite consommé leur schisme avec Rome, car l’indifférence religieuse est chez elles le sentiment le plus répandu ; mais, le schisme une fois décrété par le gouvernement, elles se montrèrent en majorité satisfaites, et prirent part dans une mesure suffisante aux scrutins pour l’élection des curés. Un véritable événement se trouva de la sorte accompli. Tandis que les vieux-catholiques allemands n’arrivaient à grouper autour d’eux qu’un petit nombre de laïques, les catholiques libéraux de la Suisse se constituaient en église établie, agissante. L’impossibilité où sera la vieille organisation romaine de se maintenir dans les pays démocratiques fut prouvée par un exemple éclatant. Il y a là pour un esprit philosophique une leçon capitale. Ce n’est pas sans raison que la cour de Rome s’attache convulsivement aux restes de l’ancien régime ; seules les hautes classes de la société la soutiennent : partout où ces hautes classes perdront l’influence dirigeante, le catholicisme romain ne pourra conserver sa situation prépondérante.

Si l’universalité des catholiques de Genève ou du Jura bernois eût suivi l’initiative de schisme prise par leur gouvernement, nous